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En thèse générale et en fait absolu, l’Angleterre entretient sous les armes, dans son vaste empire, plus de troupes régulières que nous ne le faisons nous-mêmes. La garde, l’armée de ligne, l’armée indienne, les régimens noirs et les corps coloniaux forment entre eux un effectif qui s’élève certainement encore aujourd’hui à plus de 400,000 hommes. Si l’on y joint les milices et les volontaires du royaume-uni et des colonies, les pensionnaires de Chelsea, qui peuvent encore être appelés au service militaire, la police anglaise et la constabulary force d’Irlande, qui représentent la gendarmerie inscrite chez nous au budget de la guerre, on arriverait facilement à un chiffre d’environ 800,000 hommes qui pourraient être présens demain sous les armes et sans aucun effort extraordinaire, s’il plaisait en effet à la reine d’ordonner que tous les corps armés et organisés de son empire fussent passés simultanément en revue dans une prochaine journée.

On fera peut-être remarquer que pour produire ce formidable total il faut faire le tour du globe et aller chercher des chiffres jusqu’aux antipodes, qu’il serait peut-être plus convenable de ne considérer que les troupes qui se trouvent ou peuvent se trouver dans les dépendances européennes de la couronne d’Angleterre. C’est ce que l’on dit à Londres et dans le parlement, mais c’est une manière de discuter qui ne peut nous paraître ni juste ni acceptable, parce qu’elle repose sur cette hypothèse, à la fois fausse et blessante pour nous, que ce qui se passe hors de l’Europe ne nous regarde pas, que nous n’avons pas d’intérêts hors du continent. N’est-il pas vrai cependant qu’après celui de l’Angleterre c’est le commerce extérieur de la France qui est le plus considérable du monde ? N’est-il pas vrai que sans parler de nos possessions coloniales, qui ont bien quelques droits aussi à notre sollicitude, nous avons encore dans les quatre parties du monde des intérêts qui peuvent être plus ou moins affectés par l’importance des forces militaires que les autres entretiennent même sur les plus lointains rivages ? Admettons cependant qu’il ne soit pas injuste de prétendre que, dans l’état militaire des Anglais, nous devions seulement tenir compte de ce qui est en Europe : il ne restera pas moins vrai que si nous voulions répondre aux plaintes de nos voisins par des plaintes, à leurs récriminations par d’autres récriminations, à leurs exigences par des exigences correspondantes, nous ne serions pas embarrassé pour montrer que dans le système de conciliation imaginé et invoqué par l’Angleterre, ce serait encore nous qui aurions le plus de doléances à faire valoir.

Dans ce système singulier, celle des deux puissances qui aurait le plus de torts vis-à-vis de l’autre serait celle qui depuis quelques années aurait développé sur la plus grande échelle l’une ses armemens