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certaine violence à son collègue pour l’entraîner devant Cronstadt.

Mais en même temps qu’elle a eu la bonne fortune d’agir de concert avec les Anglais dans presque, toutes les occasions, où ils ont agi eux-mêmes, la marine française a fait aussi depuis quarante ans un assez grand nombre d’entreprises sans le concours de personne. En 1823, année que l’on peut regarder comme la date de sa renaissance, elle faisait le blocus de Cadix et du Guadalquivir, elle réduisait le fort de Santi-Petri ; en 1828, elle conduisait une armée en Morée, et elle commençait ce long et rude blocus qui devait se terminer en 1830 par la prise d’Alger ; en 1831, elle s’emparait d’Ancône et forçait l’entrée du Tage ; dans les années suivantes, elle livrait je ne sais combien de combats sur la côte d’Afrique ; en 1834, elle allait à Carthagène et à Saint-Domingue ; en 1839, elle réduisait le fort de Saint-Jean-d’Ulloa après un brillant combat ; en 1841, elle mettait la main sur les Comores, les Marquises et Taïti ; en 1844, elle renversait les batteries de Tanger et celles de Mogador, qu’elle occupait ; en 1849, elle transportait une armée à Civita-Vecchia ; en 1859, elle appuyait à Gênes et à Venise les opérations de l’armée d’Italie, et en même temps elle commençait en Cochinchine l’exécution des desseins qui ont fourni à l’amiral Charner l’occasion de nouvelles victoires. Toutes ces entreprises ont réussi ; dans aucune, nous n’avons éprouvé un seul revers, et encore j’en oublie, comme par exemple le développement de nos établissemens de la côte d’Afrique, les divers blocus que nous avons maintenus au Mexique et dans la Plata, l’occupation de la Nouvelle-Calédonie, les expéditions périodiques que nous avons faites pendant tant d’années pour aller protéger notre allié le bey de Tunis, les châtimens infligés aux pirates de Rabat et de Salé, l’expédition de Syrie, etc.

Ces succès, ces preuves si répétées d’habileté et d’activité persévérantes ont grandement rehaussé aux yeux des peuples l’éclat de notre pavillon ; mais encore une fois il faudrait méconnaître la nature humaine pour ne pas comprendre que, comparant la situation présente avec celle de 1815, l’Angleterre doit voir avec une certaine jalousie ce qui est au contraire pour nous un sujet de satisfaction et de fierté légitime. Si l’on a pu dire avec quelque vérité qu’il y a toujours dans le malheur de nos amis quelque chose qui ne nous déplaît pas, ne peut-on pas retourner la phrase et dire avec une égale justesse que dans les succès d’autrui, voire de nos alliés, il y a toujours quelque chose qui ne nous plaît guère ?


II. — Les derniers jours de la marine à voiles

Nous venons d’exposer les faits qui, depuis quarante ans, ont frappé les imaginations des multitudes. Si nous entrions plus profondément