ait voulu maintenir jusqu’au bout l’anonyme venir rendre visite, vingt ans après la croisière du Centurion, à la flotte qui battait en 1839 les mers du Levant. Il a laissé un des noms les plus respectés et les mieux portés de la marine, et sa joie eût été grande de contempler l’escadre de l’amiral Lalande, d’autant plus que, si je ne me trompe, il avait contribué, comme préfet du cinquième arrondissement maritime, à la préparer, à l’armer, à l’équiper. Alors il n’y avait plus de Centurion, mais il y avait le Triton, l’Hercule, le Diadème, le Généreux, le Santi-Petri, le Jupiter, le Montebello, le Suffren, l’Iéna, le vaisseau favori de l’amiral Lalande, commandé par l’officier de sa prédilection, l’actif et intrépide amiral Bruat.
Ceux qui n’ont connu l’amiral Lalande qu’à la chambre des députés, lorsqu’il avait quitté son commandement, ont peut-être quelque peine à se faire une idée juste du mérite de cet homme éminent. La guerre aux portefeuilles n’était pas son affaire, et je reconnais qu’il la fit médiocrement. C’était à son bord, au milieu de ses équipages et de ses officiers, qu’il eût fallu le voir. Là, il était l’homme de la situation, the right man in the right place, comme disent les Anglais. On lui a rendu justice dans la Revue[1] avec une autorité dont il ne me convient pas de prétendre confirmer les arrêts ; mais je ne saurais résister au désir de raconter, moi aussi, l’impression que l’homme et la flotte ont produite sur mon esprit. Ce sont choses du temps passé, et d’un passé qui, de toute façon, est déjà bien loin de nous, mais à cause de cela même il se présente sous un aspect de renouveau qui m’autorise sans doute à insister.
L’amiral Lalande excellait à éveiller, à entretenir, à aiguiser les amours-propres et les rivalités, à complimenter ceux qui avaient réussi, mais en ayant toujours soin de leur faire voir qu’ils pouvaient encore apprendre quelque chose ; il aimait à encourager ceux qui montraient de la bonne volonté, mais qui n’étaient pas encore parvenus au niveau général où il avait élevé ses vaisseaux. Le travail était la base du système, et il est peu de chefs qui aient jamais su en obtenir autant de leurs subordonnés. Avec l’amiral Lalande, on travaillait toujours, au mouillage comme sous voiles, sous voiles comme au mouillage, et de plus il n’était peut-être aucun de ses navires sur lequel il ne tînt pas en haleine une ou même plusieurs commissions chargées d’étudier un procédé, une manœuvre, un engin nouveau : occupation et moyen de se distinguer pour les jeunes officiers dont il observait ainsi le zèle et l’aptitude. Lui-même au début il s’était posé vis-à-vis de ses capitaines comme un marin qui, sachant conduire une frégate ou un vaisseau, ne savait cependant pas encore par expérience ce que c’était qu’une armée navale, mais qui était bien
- ↑ Voyez l’Escadre de la Méditerranée dans la Revue du 1er août 1852.