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n’y avait pas de trop de toutes les passions et de toutes les ardeurs que l’amiral Lalande sut exciter autour de lui.

Ce fut un moment de jeunesse et d’entrain, d’espoir et de confiance que ceux-là qui en ont été témoins ne sauraient se rappeler sans plaisir et sans émotion. C’était aussi un moment d’épanouissement fougueux où les talens formés dans les navigations solitaires des années antérieures, où toutes les belles choses préparées dans les méditations du cabinet aussi bien que dans le secret des arsenaux depuis que M. Portai avait réconcilié la France avec la nécessité d’avoir une marine, se montraient au jour et venaient s’unir dans un harmonieux ensemble avec une facilité qui excitait de douces surprises. On refaisait pratiquement la tactique, on la refaisait sous voiles[1]. on remaniait complètement l’organisation du personnel des vaisseaux et la confection des rôles d’équipage, on fondait l’école des canonniers marins, on trouvait des règles à l’important service de l’état-major-général, on fixait des modes uniformes de service, d’existence et de manœuvres à bord de tous les bâtimens ; on perfectionnait l’hygiène aussi bien que la discipline et l’instruction des équipages, etc. Et tandis que l’on travaillait si bien à bord, les arsenaux ne demeuraient pas oisifs. Les vaisseaux et les frégates que les ports remettaient à la flotte pouvaient soutenir hautement la comparaison avec tout ce que l’étranger nous montrait. Il n’y a pas de présomption à soutenir qu’entre tous les vaisseaux français que j’ai nommés plus haut, il n’en était pas un pas même le vieux Triton qui ne fût presque un chef-d’œuvre d’architecture navale, comparé au Pembroke, au Minden, au Belleisle, à l’Edinburgh et autres, qui comptaient à la même époque dans l’escadre de l’amiral Stopford[2]. Les deux plus beaux navires qu’il eût alors sous ses ordres étaient deux vaisseaux neufs construits, par sir W. Symonds, Je prédécesseur de sir Baldwin Walker et de l’amiral Robinson au poste de surveyor of the navy. Ils s’appelaient le

  1. C’est après avoir été attaché à l’état-major de l’amiral Lalande que l’amiral Chopart, alors lieutenant de vaisseau, publia sur la tactique de la marine à voiles un livre que les gens du métier regardent comme le chef-d’œuvre du genre. Depuis, l’amiral Chopart a été chef d’état-major de l’escadre d’évolution. Il a dû par conséquent contribuer pour sa part aux études qui se poursuivent depuis plusieurs années.sur la tactique des flottes & vapeur. C’est une singulière fortune dans la vie d’un officier, et qui montre encore mieux peut-être que tout ce que nous pourrions dire l’importance des révolutions qui se sont accomplies depuis si peu d’années dans la marine et qui sont presque entièrement le résultat d’études ou d’inventions françaises.
  2. On peut dire, je crois, que les Anglais le reconnaissaient eux-mêmes. Deux de ces navires, sinon tous les quatre, appartenaient à la catégorie de vaisseaux que l’on désignait dans la marine anglaise sous le nom de the forty thieves (les quarante voleurs). C’étaient quarante vaisseaux qui avaient été commandés en bloc vers la fin des guerres maritimes de l’empire, et dont pas un seul, au. dire des marins anglais, n’a été au-dessus du médiocre.