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— génuflexions, oblations, prostrations, offrandes de fruits, de parfums et de chairs d’animaux. Enfin la doctrine de Confucius leur avait semblé porter plutôt les caractères d’une philosophie que ceux d’une religion, et ils n’avaient pas jugé à propos d’interdire aux chrétiens les témoignages de vénération dont les Chinois entourent la mémoire de ce personnage. Les dominicains envisageaient toutes ces questions sous un point de vue diamétralement opposé. Suivant eux, le signe chinois tien ne désigne le ciel que dans un sens matériel et païen. Il est aussi déplacé de mettre dans un. édifice chrétien l’inscription chinoise king-tien (adorez le ciel) qu’il eût été inconvenant aux premiers chrétiens de donner l’appellation de Jupiter au Dieu des chrétiens et de graver dans les églises : « Adorez Jupiter. » Quant aux hommages que les Chinois rendent à leurs ancêtres jusqu’au quatrième degré, on ne saurait les distinguer d’un véritable culte. Il en est de même des invocations à Confucius. Toutes ces pratiques, aux yeux des religieux de l’ordre de saint Dominique, étaient évidemment entachées d’idolâtrie et de superstition, et on devait défendre sévèrement aux néophytes de prendre une part quelconque à des cérémonies de ce genre. Les jésuites répliquèrent ; comme ils avaient parmi eux les sinologues les plus remarquables, ils soutenaient que leurs adversaires n’avaient pas une intelligence suffisante des mots qu’ils condamnaient. La discussion devint alors très acerbe et donna naissance à d’innombrables plaidoyers. Au milieu de ces luttes passionnées, la congrégation des Missions étrangères se distingua par sa modération. Ses membres ne cessaient de répéter dans les lettres qu’ils adressaient à Paris et à Rome : « Nous ne cherchons que la vérité. Tout nous sera bon, pourvu qu’on finisse. » Leur vœu fut rempli. La bulle ex illa die, du 19 mars 1715, trancha le différend. Clément XI qualifiait de pratiques superstitieuses et condamnables les hommages rendus par les Chinois à leurs ancêtres, ainsi qu’à Confucius ; défense était faite aux chrétiens d’y participer en aucune manière. L’application sur les murailles des églises de l’inscription king-lien (adorez le ciel) était également interdite.

La bulle décidait la question, mais ne réparait pas tout le mal dont ces discussions furent la cause. Les missions avaient déjà beaucoup perdu. L’avènement de Young-tching en 1722 fut le signal d’une persécution nouvelle contre le christianisme, et précipita leur décadence.

À l’époque où l’envoyé du roi Louis-Philippe obtenait le rappel des édits contre les chrétiens, le temps avait passé sur toutes ces controverses, qui atteignaient à la fin du XVIIe siècle et au commencement du XVIIIe un degré de vivacité dont on se ferait malaisément