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et de valet de prince, c’est d’avoir deviné il bambino santo qui est devenu Mozart. Tous les morceaux de cette délicieuse pastorale de Rose et Cote, dont il est inutile d’expliquer le sujet, sont frappés au coin de la vérité. L’ariette que chante Rose, — Pauvre Colas, — celle de la mère Bobi, un beau type de vieille babillarde : — La sagesse est un trésor, — l’ariette de Mathurine pour voix de basse, — Sans chien et sans houlette, — si franche d’allure et si variée d’accent, témoin la petite phrase en mineur qui accompagne ces paroles, — Mais l’âge et le temps qui tout mène, — et le duo très plaisant que chantent les vieux barbons, Pierre Leroux et Mathurin, ce duo si naïvement imitatif de l’idée symbolique qu’expriment les deux vieillards ! Qu’on me cite donc dans les opéras de notre temps, dans Lalla-Roukh par exemple, dont je vais m’occuper, un morceau d’une si franche malice ? Quant au rondeau qui exprime le sentiment de Colas en pénétrant dans la demeure modeste de la jeune fille qu’il aime :

C’est ici que Rose respire,


c’est un chef-d’œuvre de mélodie touchante digne de réveiller dans le cœur l’émotion qu’on éprouve devant un tableau de Greuze. L’âme sèche de Grimm, de cet ennemi odieux de Rousseau, n’était pas digne de ressentir le charme attendrissant d’un morceau aussi exquis, que M. Montaubry devrait chanter d’une manière plus simple et sans mignardise. M ; Auber a-t-il fait un duo plus piquant que’ celui que chantent ensemble Rose et Colas : — M’aimes-tu ? — Ah ! comme je l’aime ! — Et ce dialogue à la Théocrite se continue ainsi en réunissant les deux voix dans une douce étreinte. Citons encore le vaudeville charmant qui depuis un siècle circule dans la nation à l’état de légende :

Il était un oiseau gris
Comme une souris.


Le quintette qui suit et le vaudeville qui explique la moralité de la pièce :

Il faut seconder la nature,
Puisqu’elle nous fait la loi,


terminent heureusement cet aimable ouvrage de ces deux hommes si heureusement doués, Monsigny et Sedaine, qui étaient faits pour s’entendre et pour créer ensemble une œuvre qui a survécu à une révolution sociale et à deux grandes transformations de la musique dramatique. L’exécution de Rose et Colas n’est pas tout ce qu’elle devrait être et ce qu’elle a été dans des temps meilleurs et moins chargés de science. Les artistes d’aujourd’hui se croient de trop grands personnages pour chanter une musique aussi simple, où il n’y a que quelques appoggiatures pour tout ornement vocal. Il a même fallu l’autorité morale de M. le directeur de l’Opéra-Comique pour persuader à ses pensionnaires que Rose et Colas n’était pas une mauvaise plaisanterie, et qu’on pouvait chanter ces charmantes ariettes sans se déshonorer. M. Montaubry, dans le rôle de Colas, est toujours un peu précieux, et il ne dit pas la romance, — C’est ici que Rose respire ; — avec le naturel et le sentiment qu’elle exige. Mlle Lemercier seule est à sa place sous la cornette de la mère Bobi, ainsi que M. Sainte-Foy, qui représente Pierre Leroux. Quant à