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REVUE. — CHRONIQUE.

à sa dévotion, formé à l’avance un noyau armé de douze mille hommes, et, quand l’occasion serait venue, aurait favorisé les entreprises du roi de Siam. Ces projets ne paraîtront pas trop invraisemblables, si l’on veut considérer que le roi de Siam s’est toujours mêlé des affaires de la Cochinchine, que le Cambodge est son tributaire ainsi que le Laos, et que dans la deuxième année du règne actuel[1], l’ambassadeur du roi de Siam fut arrêté à Tay-ning[2], porteur des insignes de la royauté pour le frère aîné de Teu-deuc, qui était alors enfermé depuis deux ans.

Quelle que soit l’opinion qu’on se fasse sur l’institution de ces colons militaires, qu’ils aient été organisés avec une arrière-pensée politique ou simplement pour défricher des terrains incultes et ramener dans la vie sociale les gens errans qui devaient abonder dans un pays souvent conquis et perdu, il est certain que l’organisation des don-dien est un remarquable témoignage de cet esprit d’ordre, de précaution, et de cette sorte de bonhomie qui semble particulière aux institutions annamites. On a organisé des colons militaires en Europe ; mais ce qui distingue la création des don-dien, c’est la condition de pauvreté d’où ils sont censés ne devoir jamais sortir. La pensée d’établir une agrégation de misérables qui ne doivent jamais cesser de l’être, et dont les enfans seront don-dien, est tellement en désaccord avec l’inégalité qui se produit rapidement dans toutes les réunions, humaines, qu’on se demande si, même dans l’Annam, où l’homme est placé en tutelle comme un enfant, l’essai était réalisable. C’est un chef annamite, c’est le colonel Ké lui-même, qui le juge impossible. Ké prétend que si l’on voulait reformer les don-dien, on n’obtiendrait aucun résultat sérieux, parce qu’il y a trop de pauvres parmi eux. Il faudrait, suivant lui, mêler cent riches avec deux cents pauvres. L’esprit de pauvreté, excellent en effet pour des soldats qui doivent se déplacer au premier appel, est moins applicable à des paysans qui s’attachent aux biens de la terre, surtout quand ils l’ont défrichée. On se représente difficilement les don-dien maintenus dans les dispositions de cette loi agraire.

Le vice-amiral Charner, quand il commandait en chef en Cochinchine, put croire à une certaine époque que ces colons se façonneraient à notre domination : il reçut leurs protestations de fidélité et approuva leur formation par un arrêté en date du 19 mars 1861 ; mais après la prise d’armes contre Go-cung et les événemens qui en furent la suite, les don-dien furent dissous par un arrêté rendu le 22 août 1361. Un grand nombre d’entre eux sont rentrés sous la domination régulière des villages et se sont fait inscrire. D’autres ont eu le sort des soldats débandés et se sont faits brigands. Il existe pourtant encore quelques régimens de don-dien dans ces provinces du sud, qui, sans ordres royaux, sans argent, coupées de communications avec Hué, sont tombées dans un véritable état de dissolution sociale. Dans les circonstances actuelles, l’institution des don-dien ne pourrait être reprise sans donner un moyen d’action au brigandage.

Quand les positions formidables de Ki-oa et de My-thô tombèrent en notre pouvoir, les Annamites, dans une proclamation remplie de tristesse, et qui

  1. 1850.
  2. Le point extrême de nos possessions.