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de fusils, les autres étaient piquiers. La distribution des armes était faite par le colonel. Il était permis du reste aux don-dien de varier leur armement et de porter des fusils, s’ils pouvaient s’en procurer. Ils s’exerçaient au maniement de leurs piques quand les travaux de culture étaient terminés ou suspendus, mais à la façon annamite, en se tordant, se repliant, en se battant contre le vent, et multipliant des passes inutiles. Le premier mois de l’année, ils passaient une revue dans le chef-lieu de la province : on les voyait arriver à Saigon, à My-thô. Ils portaient le petit chapeau des soldats annamites, une blouse fendue droit par devant et de couleur noire, un pantalon violet ou de couleur fauve. À proprement parler, ils n’avaient pas d’uniforme. Leurs chefs se ceignaient d’une écharpe noire ou violette. Ils portaient l’écusson sur la poitrine.

Durant la période remplie par les travaux préparatoires de culture dans les terres en friche, c’est-à-dire pendant deux ans, les don-dien étaient fort malheureux. C’est alors aussi qu’ils recevaient des secours du roi, plus souvent de leurs chefs. Ces champs étaient la propriété du roi. Les don-dien n’étaient que des usufruitiers. Ils ne pouvaient ni partager, ni vendre, ni céder leurs arpens. Il y a aussi dans l’Annam des villages qui ne vivent que des champs du roi. Chaque année, l’autorité fait un nouveau partage.

Au début de la guerre, les don-dien furent envoyés dans les forts ; mais leur armement fut modifié : on leur donna un assez grand nombre de fusils. Ils nous ont combattus à Ki-oa ; il y avait contre les Français, à l’assaut du 25 février 1861, environ cinq cents don-dien commandés par le colonel Tou (Quan-Tou). Après leur défaite, ils ont reparu dans les forts de My-thô, enfin plus récemment, dans une expédition malheureuse pour eux qu’ils ont tentée contre Go-cung.

Les chefs de don-dien étaient souvent des hommes remarquables. L’un d’eux, le colonel Suan, s’est distingué par une bonne administration. Il était, il y a six mois, sur la frontière des possessions françaises de l’autre côté de l’arroyo de la Poste. Un autre des plus résolus, le colonel Tou, a disparu après la prise de My-thô. Le Sham-Rock[1] a brûlé sa maison à Kui-duc, près de Mi-kui. La crédulité populaire donne à quelques-uns de ces chefs des attributs singuliers : le dao-tri-hien passe pour avoir quatre phalanges au petit doigt. Dans l’affaire de Go-cung, les don-dien étaient poussés en avant par un meneur fort énergique. On doit aussi considérer que Go-cung est une sorte de terre sainte pour beaucoup d’Annamites, et qu’elle renferme la pagode des ancêtres du roi Teu-deuc : c’est à Go-cung qu’est née la mère du roi et que se trouvent encore une trentaine de ses parens et de ses alliés.

Tri-phuong, le fondateur des régimens de don-dien, est un ancien scribe qui est arrivé à sa haute position sans avoir passé par les concours. Son projet, quand il fut présenté, parut admirable : il utilisait des gens sans aveu qui causaient souvent des troubles, il ajoutait aux revenus de l’état, et augmentait sa force par une troupe disciplinée à l’avance ; mais des Annamites qui ont vécu à la cour de Hué assurent que ces soldats devaient agir un jour contre le roi Teu-deuo. On dit que Tri-phuong. aurait préparé des chefs

  1. Un petit aviso de guerre français.