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du dernier règne, les personnages de cour, les séides obstinés de la vieille politique de Nicolas, profitant de l’absence du maître et plus libres dans leurs mouvemens, ne songeaient qu’à saisir une occasion de frapper un coup décisif et d’en finir avec ce qu’ils appelaient la révolution. Le ministre de l’instruction publique, l’amiral Poutiatine, élevé au pouvoir un peu sous l’influence de la camarilla, se trouva être l’exécuteur d’une partie de ce plan par les mesures dirigées contre les universités. L’amiral Poutiatine allait au-devant d’une tempête plus grosse que toutes celles qu’il avait pu essuyer dans sa campagne du Japon il y a quelques années. Il fit si bien qu’une simple affaire d’écoliers, une dissidence entre les étudians et les autorités universitaires, qui, dans un autre temps et dans un autre pays, eût passé sans bruit, prenait tout à coup les proportions d’un événement. Les troupes marchaient contre les étudians, le sang coulait à Saint-Pétersbourg et à Moscou. Cette répression outrée et les mesures de réaction qui en étaient le préliminaire ou la suite s’accomplissaient justement à l’heure où le mécontentement de toutes les classes de la nation arrivait au dernier degré, où la noblesse, atteinte dans ses intérêts, se préparait à passer de l’opposition de parole à l’opposition active, lorsque le commerce, languissant et désespéré, murmurait tout haut contre le gouvernement, quand les écrivains s’agitaient pour secouer le joug de la censure, lorsqu’enfin des journaux clandestins, tels que le Welikorus, répandaient par milliers des proclamations révolutionnaires. C’était souffler sur un foyer incandescent, et, au lieu de livrer à l’empereur la révolution domptée, les dangereux promoteurs de cette tentative de réaction ne faisaient que lui préparer pour son retour d’inextricables embarras. des sa rentrée à Pétersbourg en effet, Alexandre II se trouvait en présence d’un spectacle plein de confusion et d’anarchie. L’université de Saint-Pétersbourg était fermée, celle de Moscou à moitié dispersée ; des centaines d’étudians étaient dans les forteresses ; des écrivains avaient été emprisonnés, des officiers traduits devant des cours martiales. L’effervescence du public était extrême ; les passions, les haines contre le gouvernement n’avaient fait que s’accroître ; les plaintes, les récriminations s’élevaient partout, jusque dans le Palais d’Hiver.

L’esprit d’Alexandre II s’effraya de ce spectacle. Comme de coutume, le tsar commença par remercier les troupes dévouées et fidèles jetées dans cette triste campagne contre les étudians. Il prodigua les faveurs et les grâces, témoignant la plus vive reconnaissance aux généraux, qui se représentaient eux-mêmes comme les sauveurs de la dynastie ; mais en même temps il vit clairement qu’aller plus loin dans cette voie, c’était marcher à une catastrophe imminente, qu’il fallait s’arrêter. Il sentit surtout que le moment était venu de