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s’inspirer de nouveaux conseils, de s’entourer d’hommes un peu moins aveuglés par la haine de tout mouvement, et il rappela auprès de lui le grand-duc Constantin, qui voyageait à l’étranger. dès lors en effet un changement assez marqué se manifestait. C’est en réalité le point de départ d’une phase de politique qu’on pourrait appeler le règne de l’influence du grand-duc Constantin, qui commençait par l’éloignement de quelques-uns des personnages les plus compromis et par l’avènement au pouvoir de quelques hommes nouveaux. Il n’est point inutile, pour comprendre cette phase, pour la saisir dans ce qu’elle a de compliqué, de favorable ou de précaire, de regarder de près le caractère, les opinions, les mobiles des principaux acteurs passant sur cette scène de Pétersbourg.

Le grand-duc Constantin n’est pas tout assurément en Russie depuis six mois, mais il a un rôle sérieux, quelquefois décisif, et on pourrait dire qu’il est la figure dominante de cette situation nouvelle. Son élévation récente au poste de vice-roi de Pologne ne fait qu’attester cette importance. Est-ce un prince libéral ? Il l’est peut-être comme Frédéric II de Prusse et Joseph II d’Autriche. Ce qui est certain, c’est qu’il a un esprit vif et hardi, un tempérament résolu et une réelle intelligence de quelques-unes des nécessités de son temps, Il n’a pas visité sans fruit la France et l’Angleterre ; il y a puisé je goût du progrès civil. Une justice dégagée de corruption et impartiale, des tribunaux mieux organisés, un système de procédure orale et publique, l’instruction répandue dans toutes les classes, des universités modelées sur celles de l’Occident, l’abolition de toutes les entraves du commerce, les chemins de fer, toutes les améliorations ont en lui un énergique partisan. Il ne reculerait même pas devant une certaine liberté de la presse fortement contenue par les lois et devant un certain degré de self-government provincial et communal. Au-delà, quand on parle d’une participation du pays à ses propres affaires, d’une représentation nationale, d’un contrôle exercé par des assemblées électives, il résiste absolument. Il est intraitable sur l’autocratie, qui est à ses yeux la seule forme possible et désirable de gouvernement pour la Russie. Des réformes partout, c’est sa pensée, mais par l’action du gouvernement, par une administration éclairée et bienveillante. Et si l’on songe qu’en même temps le grand-duc Constantin nourrit pour la noblesse une aversion et un dédain à peine déguisés, qu’il incline, dans le règlement de l’émancipation des paysans, aux solutions les plus radicales, les moins favorables aux intérêts des propriétaires, qu’il porte enfin dans ses vues une rigueur systématique, un caractère à la fois concentré et ardent, on comprendra l’étrange position de ce prince, trop libéral pour les uns, — tranchons le mot, puisqu’il a été dit en Russie, « Jouant au Philippe-Egalité, » — et considéré par les autres comme