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l’état ? Mais ces revenus viennent de l’imposition sur le peuple. Ainsi, pour soulager les coupables d’un fardeau prétendu ou réel, on chargerait d’un nouveau fardeau ceux qui ne le sont pas, etc. » Je m’arrête ; la conscience orthodoxe de l’empereur Alexandre n’a pu qu’être soulagée par la consultation du métropolitain Philarète. Malgré tout, il sera fait quelque chose sans doute. Seulement on commence à craindre un peu en Russie que la réforme ne se borne à quelque moyen terme qui, en abolissant définitivement le knout, le plète, la marque, conserverait l’emploi des verges pour l’armée de terre, ainsi que pour les tribunaux et pour la police. Grâce au grand-duc Constantin, la marine en serait, dans tous les cas, complètement exempte. Restera-t-on décidément en chemin ? La question seule est par elle-même caractéristique.

Poursuivons : la réorganisation des tribunaux et l’introduction d’un système de procédure orale et publique sont à l’étude depuis quelque temps déjà. Simplifier, régulariser, épurer l’administration de la justice, entachée jusqu’ici de vénalité, enchevêtrée de juridictions et d’instances au sommet desquelles règne un arbitraire d’autant plus complet, que le sentiment de la loi est absent partout, accomplir cette œuvre est assurément une des premières nécessités pour la Russie : plusieurs comités sont chargés de ce travail ; la difficulté est d’arriver à une solution sérieuse qui offre des garanties réelles. Et se mît-on décidément à l’œuvre, comme on le dit maintenant, il resterait toujours à savoir ce qu’on peut attendre de nouvelles institutions judiciaires appliquées par le ministre actuel de la justice, le comte Panine, l’homme qui depuis près de vingt-cinq ans est peut-être dans les conseils du gouvernement le représentant le plus opiniâtre de toutes les idées de réaction et d’absolutisme illimité.

Un problème qui n’est pas le moins grave de tous ceux qui s’agitent aujourd’hui en Russie, c’est la constitution de l’armée, le mode de recrutement militaire. La réforme du régime actuel est la conséquence nécessaire, inévitable de l’émancipation des paysans. Jusqu’ici c’étaient les seigneurs qui avaient la responsabilité du recrutement, qui assuraient au gouvernement son contingent de soldats. Ces jours-là, ils faisaient la presse dans leurs domaines et ils ne donnaient pas ce qu’ils avaient de mieux, en quoi ils étaient aidés par les fonctionnaires de l’état, dont il ne leur était pas difficile de gagner la complicité intéressée. L’émancipation change les rapports des propriétaires et des serfs, elle enlève aux premiers, du moins en principe, tout pouvoir sur leurs anciens sujets devenus des hommes libres ; elle met ainsi le gouvernement en face de la nation tout entière et crée pour lui le problème nouveau du recrutement direct de l’armée. Or quel sera le mode de ce recrutement ? L’idée