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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/792

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qu’un avenir sans sécurité, une source permanente de froissemens et de rapports orageux avec leurs anciens serfs. Ils pressentent bien qu’un jour ou l’autre la question peut être tranchée violemment par la force des choses. De là le cri unanime qui s’élève d’un bout à l’autre de la Russie contre les règlemens actuels, contre l’état transitoire. On veut en finir d’un coup avant de se trouver en face d’une situation irrémédiable, et la solution qu’on propose est le rachat immédiat et obligatoire au moyen de quelque combinaison qui fixe dès ce moment toutes les positions, qui fasse cesser un antagonisme indéfini et périlleux entre seigneurs et paysans. Le gouvernement résiste encore : il défend ses règlemens. Le grand-duc Constantin, disais-je, est volontiers favorable à une solution radicale et immédiate, l’empereur Alexandre tient à maintenir son système ; mais le gouvernement russe se trouve déjà dans une de ces crises où il est pressé, dominé par tous les intérêts, par les conséquences même d’une réforme qui lui échappe, qu’il a peine à contenir dans les limites d’une réglementation impuissante, et plus que jamais la question est là, devant la société russe, comme une redoutable énigme.

Quelle est enfin la part des finances dans l’ensemble de la situation actuelle de la Russie, et qu’a-t-on fait pour les réformer ? Ici peut-être est la difficulté, sinon la plus considérable, du moins la plus épineuse, d’autant plus épineuse qu’à la mort de l’empereur Nicolas la confusion était immense. Tout était à faire, tout était à rectifier. Lorsqu’il y a huit ans bientôt[1], pendant la guerre d’Orient, le vigoureux et pénétrant esprit de Léon Faucher disséquait les ressources financières de la Russie, il voyait la vérité, il la devinait à travers le mystère calculé dont s’enveloppait le pouvoir du dernier tsar ; il poursuivait avec une inexorable logique les expédiens ruineux de ce système, qui n’était en d’autres termes que la dilapidation des ressources d’un grand pays maintenu dans l’immobilité, et lorsqu’un des économistes russes les plus éminens, M. Tegoborski, entreprenait de défendre son gouvernement, il le défendait faiblement, parce qu’il savait sans doute ce qu’il ne pouvait dire, et qu’il n’aurait pu soulever le voile sans donner des armes nouvelles à son énergique contradicteur. La vérité est qu’à sa mort l’empereur Nicolas léguait à la Russie les élémens d’une vaste crise financière. Il laissait un budget où depuis vingt-cinq ans il y avait un déficit annuel de 25 millions de roubles ou 100 millions de francs, une dette consolidée singulièrement accrue, surtout à partir de 1848, une dette flottante démesurée, immense, composée soit d’émissions de billets de crédit ou papier-monnaie qui, en continuant au commencement

  1. Voyez la Revue du 15 août 1854.