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politique auquel on se rattache et l’œuvre qu’on veut accomplir. Le mal profond, source de tous les autres, est justement dans cette hiérarchie d’administration et de police qui enlace le pays, le pénètre en quelque sorte, rend toute loi illusoire, et paralyse même les pensées les plus généreuses en les arrêtant au passage, en les altérant, en les dénaturant dans l’exécution. L’empereur Alexandre lui-même en a fait plus d’une fois l’expérience depuis quelques années. Vouloir tout réformer sans réformer l’autocratie et la bureaucratie, c’est prétendre faire l’éducation de la Russie, la préparer à un régime meilleur, la transformer avec l’instrument même qui l’a corrompue et conduite à la situation où elle se trouve aujourd’hui ; c’est confier le rajeunissement d’un empire à ceux qui ont le plus souvent intérêt à faire vivre un régime dont l’abus est l’essence.

L’autre système, c’est de faire intervenir le pays dans le maniement de ses propres affaires, d’appeler à son aide la lumière, la publicité, le contrôle organisé et efficace, de limiter par la loi, par des garanties réelles, l’omnipotence administrative et bureaucratique, de créer enfin une hiérarchie d’assemblées, dût-on commencer d’abord, suivant un mot aujourd’hui très répandu en Russie, par le self-government communal et provincial. C’est une révolution sans doute, il n’y a point à le nier, et il se peut qu’au premier instant il y ait une certaine inexpérience dans l’essai de cette vie nouvelle. Les dernières assemblées de la noblesse cependant ne sont point sans révéler un certain esprit politique, un sentiment juste de la situation, et même des vues pratiques. Ce qu’elles révèlent surtout, c’est qu’à travers l’incohérence des idées, le pays arrive par degré à se sentir vivre, à avoir une certaine conscience de lui-même. C’est entre tous ces systèmes, entre toutes ces tendances que se trouve aujourd’hui placé l’empereur Alexandre, inclinant volontiers aux réformes, mais hésitant sur les moyens, tantôt écoutant son frère le grand-duc Constantin, tantôt regagné par les influences de réaction qui s’agitent autour de lui, et l’arrêtent au moment où il semble de nouveau disposé à marcher.

Tandis que tout s’agite dans le pays, et que pour les esprits les plus éclairés il n’y a de choix qu’entre des nuances diverses de libéralisme, entre les moyens d’accomplir des réformes, ces influences de réaction sont loin de se tenir pour battues en effet. Plus que jamais au contraire elles se démènent et sont à l’œuvre : elles cherchent à effrayer l’empereur, elles lui montrent la sédition et la menace partout, au point que, dans ces derniers temps, et je ne sais si cela ne dure pas encore, on en était à changer incessamment la garde du Palais d’Hiver. Est-il même bien certain que l’élévation récente du grand-duc Constantin au poste de vice-roi à Varsovie ne