Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/848

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’un homme distingué et de bonne conduite y est beaucoup plus sûr de se faire apprécier. Il peut devenir à bien meilleur compte une des illustrations locales, tandis qu’à Paris l’homme d’un génie même éminent court le risque de périr isolé dans ce grand désert d’hommes, comme l’appelait M. de Chateaubriand, s’il n’a pas quelques amis ou quelques relations pour le mettre en lumière, s’il n’a pas au moins une certaine dose d’habileté pour se faire valoir. Or il paraît que M. Dallery, comme la plupart des grands inventeurs, était complètement dépourvu de savoir-faire. Toujours est-il qu’entendant parler autour de lui de projets de descente en Angleterre et de la nécessité de construire une flotte spéciale pour cette entreprise, il produisit, lui aussi, un plan de navire. Or ce n’était pas moins qu’un navire à hélice, et ce qui était peut-être plus extraordinaire encore, c’était que l’appareil évaporatoire de ce navire se composait d’une chaudière tabulaire. Ces deux inventions, dont une seule aurait dû suffire pour faire la fortune et la gloire d’un homme, il les produisit dans la demande du brevet qu’il prit au Conservatoire des arts et métiers de Paris le 29 mars 1803. Les pièces originales et authentiques existent encore ; elles ont été réimprimées par les descendans de M. Dallery, et l’Académie des Sciences, saisie par eux de la question, l’a résolue à l’avantage de l’inventeur en votant, dans sa séance du 17 mars 1845, les conclusions d’un rapport qui lui fut présenté par MM. Arago, Dupin, Poncelet et Morin.

Le projet de M. Dallery reçut un commencement d’exécution. Ayant réuni toutes les ressources dont il pouvait disposer, 30,000 fr. environ, somme considérable pour l’époque, il entreprit de construire sur le quai de Bercy un modèle du bateau qu’il proposait ; mais, comme nous l’avons dit, M, Dallery n’était pas un homme d’affaires : les 30,000 francs ne suffirent pas, l’auteur ne put réussir à trouver des prêteurs, et l’œuvre resta inachevée jusqu’au jour où M. Dallery, saisi d’un accès de désespoir, la fit démolir par les ouvriers, lui-même donnant le signal de la destruction en y prêtant la main. L’invention allait pour longtemps rentrer dans l’oubli[1].

L’hélice devait renaître cependant, et renaître encore dans l’esprit d’un Français, d’un capitaine du génie dont le nom mérite d’être conservé, M. Delisle. Attaché vers 1820, avec un emploi de son grade, à la place de Boulogne-sur-Mer, il assista aux premiers débuts des services réguliers à vapeur, et son imagination fut frappée

  1. Si l’on était curieux de plus amples renseignemens sur M. Dallery et sur ses travaux, car il a encore inventé beaucoup d’autres choses, on les trouverait dans un petit écrit publié chez Firmin Didot, sous ce titre : Origine de l’hélice propulso-directeur et de la chaudière tabulaire. in-8o, Paris, 1855.