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des ressources que la guerre pourrait tirer de cette puissance nouvelle ; mais, pour l’employer tout à fait utilement, il sentait bien qu’il fallait pourvoir les navires d’un autre appareil que celui des roues, dont les organes restaient exposés sans défense aux coups de l’ennemi. Il se mit donc en quête d’un système qui permît de placer la machine à l’abri des boulets, et c’est après de longues recherches poursuivies dans cette voie qu’en 1823 il mit la dernière main aux plans d’un vaisseau de 80 canons mû par une hélice. C’était un patriote ardent, qui était surtout préoccupé du désir de donner à son pays une arme supérieure : aussi, lorsqu’il crut avoir résolu la question, il expédia son mémoire et ses plans par la voie hiérarchique au ministère de la guerre, duquel il relevait, pour qu’ils fussent transmis, comme un secret d’état, au ministère de la marine. Je ne sais quelles illusions le brave officier pouvait s’être faites sur la manière dont son projet allait être accueilli ; mais ce qui est certain, c’est que, s’il s’en fit aucune, il fut cruellement désappointé. Il ne paraît pas qu’il ait jamais pu obtenir aucune réponse sérieuse de l’une ou de l’autre administration, si bien qu’après un an de démarches infructueuses, se croyant enfin libre d’un secret dont on semblait faire si peu de cas, il se décida en 1824 à publier son mémoire dans les Annales de la Société des Amateurs de Lille[1]. L’idée était tombée par le fait dans le domaine public. J’ignore si depuis ceux qui se sont présentés, eux aussi, comme des inventeurs ont pu puiser dans cette publication ; mais il n’est sans doute pas hors de propos de faire remarquer que les deux personnages qui depuis, en France et en Angleterre, se sont le plus vivement disputé le mérite de l’invention avaient tous les deux habité Boulogne-sur-Mer, où le capitaine Delisle avait longtemps résidé et où il avait fini par perdre patience. J’ajouterai encore que, de leurs discussions mêmes, il résulte que le projet de réalisation qui fut exécuté en Angleterre est ne aussi à Boulogne-sur-Mer.

L’idée est donc française, mais c’est à l’Angleterre que revient l’honneur de l’avoir appliquée la première. Dans ce pays où l’administration publique se montre en général très peu favorable aux inventeurs et très peu douée elle-même d’esprit inventif, comme le prouvent tous les faits que nous exposons, le public semble au contraire toujours prêt à encourager les idées nouvelles. Lorsque celle-ci

  1. L’histoire rapporte, mais je ne saurais garantir qu’elle dit vrai, que non-seulement M. Delisle ne put jamais obtenir de réponse sérieuse à son envoi, mais que de plus le mémoire et les plans s’étaient égarés dans le chemin que M. Delisle avait suivi pour les faire parvenir à qui de droit. — Voir, pour plus amples détails sur cette affaire, le remarquable article publié en 1843 par l’amiral Labrousse dans la Revue d’Architecture sous ce titre : Des Propulseurs sous-marins.