cence, les jeunes filles, dis-je, dans des dispositions de vie spontanée, savent révéler leurs sentimens et les imposer à celui qui, sans le vouloir, a éveillé leur cœur. Ce sont même celles qui dans leurs conquêtes ont le plus d’audace et d’entreprise, car rien ne les arrête, et tout les seconde : l’inexpérience les pousse en avant, l’ingénuité leur fournit des traits rapides et sûrs dont la pointe n’est pas émoussée encore.
Dorothée avait aimé Laërte le jour même où elle l’avait vu pour la première fois. Ces tendresses de la première heure sont le privilège de la jeunesse; elles naissent et se développent dans les cœurs où règne le printemps, comme ces fleurs si délicates et si grandes des contrées tropicales. Zabori voulut feindre de ne pas voir les sentimens de la jeune fille, mais ses vertueux artifices furent déconcertés par les candides attaques dont il était l’objet. Il subit donc peu à peu les charmes de toute nature que répandait avec profusion autour d’elle la charmante fleur de son logis. Dans ces entretiens du soir, où le capitaine Herwig se complaisait avec tant d’imprudence, il eut une grâce et un abandon de propos qui devaient fortement agir sur l’aimable auditrice, déjà si prévenue en sa faveur. Ainsi il se mit à raconter les vieilles légendes de son pays, particulièrement celles qui planaient sur le château où il était venu au monde. Il joignit à ces légendes mille souvenirs d’une enfance romanesque et passionnée. L’électricité amoureuse n’a point de meilleur fil conducteur que de semblables discours. Aussi les séducteurs de profession excellent-ils à tendre ces fils-là dès le début de leur entreprise. Les souvenirs d’enfance et les récits superstitieux marquent presque toujours l’ouverture des hostilités galantes. Laërte cette fois était bien loin d’agir avec une pensée de calcul, et c’est pour cela même que ses manœuvres involontaires devaient avoir plus d’efficacité encore. Un soir, il raconta une longue histoire de vampire. La Hongrie a le mérite d’être la patrie de ces personnages monstrueusement poétiques, et l’histoire racontée par Laërte était une tradition de famille. Il disait en souriant que le vampire en question figurait parmi ses ancêtres. Jamais du reste un être d’une espèce aussi perverse n’avait possédé tant de séductions : le fatal et mystérieux Zabori était en même temps l’amour et le trépas pour toutes les jeunes filles qui se trouvaient sur son chemin.
Dorothée écoutait Laërte en s’abandonnant à ce genre d’effroi dont le goût est un des plus singuliers instincts de l’âme humaine. L’attrait qu’avait pour elle toute parole de Laërte se joignait à la volupté de cette terreur. Son regard, qui s’élevait et qui s’abaissait tour à tour, contemplait tantôt le visage du jeune homme et tantôt le ciel éclatant des nuits africaines, où les étoiles, en vertu de cette force dont nous sommes doués malgré notre chétive enveloppe