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Cette famille espagnole, originaire d’Italica, établie en Galice, s’était illustrée par des gloires militaires récentes et prétendait à de plus anciennes, car elle revendiquait Trajan parmi ses ancêtres. Sœur puînée d’une autre fille nommée Thermantia, Sérène fut dès le berceau l’objet de prédilections qui s’adressent plus ordinairement aux aînés; c’était à qui la caresserait et l’aimerait davantage. Théodose, qui n’était point encore marié, se plaisait à jouer avec elle, et souvent il l’emportait furtivement dans ses bras, comme s’il eût voulu la dérober à son frère. Ces petites scènes d’affection domestique donnèrent lieu à un incident étrange que nous rapporterons ici comme un exemple des mœurs superstitieuses du temps, même chez les chrétiens les plus éclairés et les plus honnêtes.

Sept ou huit ans après la naissance de Sérène, c’est-à-dire vers 374, Valens, qui gouvernait l’Orient, eut vent d’une consultation magique faite dans la pensée de connaître le nom de son successeur. Ces dangereuses curiosités n’étaient pas rares dans ce siècle de croyance au merveilleux et sous un gouvernement électif. Un ambitieux payait un magicien ou un philosophe (métiers qui se confondaient en beaucoup de points) pour avoir le secret de l’enfer sur la vie et la mort du césar régnant; l’enfer répondait ce que souhaitait le consultant, si celui-ci était riche et libéral, et il se trouvait aussitôt assez d’hommes crédules ou intéressés pour organiser un complot. Quelquefois c’était un parti politique ou religieux qui interrogeait le sort par les mêmes moyens, afin de compromettre dans sa cause un personnage influent, mais sans ambition, et l’obliger à conspirer du moins pour sauver sa vie. Ce dernier cas était celui qui se présentait alors. Un des grands officiers du palais, nommé Théodore, citoyen d’une des provinces gauloises, homme opulent, instruit, populaire, fut l’objet d’une consultation magique faite à son insu par les philosophes les plus accrédités du parti païen. Païen lui-même et païen convaincu, mais fidèle à Valens, Théodore avait refusé de prendre couleur dans les complots que ses coreligionnaires méditaient sans cesse pour faire passer l’empire à quelque nouveau Julien; toutefois il se trouva pris malgré lui. Une incantation accomplie dans la forme la plus solennelle, au moyen de l’anneau magique, par Maxime, ami de Libanius, et en présence d’un grand nombre d’adeptes, donna le résultat suivant : l’anneau, suspendu à un fil au-dessus d’un alphabet grec, placé lui-même sur un trépied de bois de laurier, se mit en mouvement sur l’ordre du prêtre, et dans ses bonds irréguliers s’arrêta sur les quatre lettres Θ, ε, o, δ, correspondantes aux caractères latins Theod. C’était la première syllabe du nom de Théodore; le démon s’arrêta là, mais il en avait dit assez. Porté de conciliabule en conciliabule par les polythéistes, le bruit