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pièces à âme lisse. Maintenu par ses ailettes et suspendu pour ainsi dire dans une position concentrique à l’axe de la bouche à feu, le projectile semble éviter autant que possible tout point de contact avec les parois intérieures du canon, et n’était la friction que subissent les ailettes pour prendre le mouvement de rotation, on serait tenté de croire que le projectile s’échappe de la pièce presque sans l’avoir touchée. Encore cette friction est-elle très légère, comme on peut s’en convaincre en visitant dans nos polygones les boulets qui ont servi au tir des écoles. À peine si les ailettes portent les traces du frottement qu’elles ont éprouvé dans les rayures. Ce sont là les conditions qui nous ont permis de conserver le bronze avec tous les avantages qu’il offre pour le service de campagne, qui ont rendu si facile et si peu coûteuse la transformation de l’ancien matériel, qui font que tous les canons français indistinctement peuvent se charger par la bouche. Pour les petites pièces, pour l’artillerie de campagne, qui combat toujours à découvert, c’est, à tous les points de vue imaginables, une propriété très précieuse. Et si l’on a cherché à faire chez nous des pièces qui pussent se charger par la culasse, c’est uniquement pour le gros calibre, qui, soit dans les sièges, soit sur les côtes, soit sur les vaisseaux, combat toujours à l’abri de remparts ou de la muraille des navires. Dans cette position et avec les longues et pesantes pièces de cette artillerie, il est important en effet, pour la rapidité et pour la commodité du tir comme pour la sécurité des servans, de pouvoir charger les canons par la culasse. Combien d’hommes, et des meilleurs, ne seraient pas épargnés dans un combat naval, si les chargeurs et les premiers servans de gauche n’étaient pas obligés de se montrer en dehors des sabords pour charger les pièces ! combien d’existences précieuses eussent été sauvées à Sébastopol, si le système de construction des pièces employées à ce siège fameux n’eût pas forcé les premiers servans à se montrer dans les embrasures où ils servaient de cible aux tirailleurs de l’ennemi !

Chez nous, l’administration de la marine, lorsqu’elle fut saisie de la question de l’artillerie rayée, partit de principes à peu près semblables à ceux qui guidaient l’armée de terre ; mais, dans l’application, elle suivit des erremens assez différens. Le département de la marine compte, parmi les corps dont il se compose, un régiment d’artillerie où certes les talens ne manquent pas, et qui eut l’ambition bien naturelle et bien légitime de vouloir continuer à faire ce qu’il faisait jusque-là, c’est-à-dire à fournir l’artillerie des bâtimens de mer. De son côté, l’administration supérieure du département était sans doute bien aise de conserver l’indépendance dont elle jouit vis-à-vis du ministère de la guerre, et elle était très