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désireuse, pour la commodité de son service autant que par amour-propre, de ne pas se laisser mettre dans une situation où elle aurait pu être exposée à attendre son matériel d’arsenaux qui n’étaient pas sous son autorité directe. De ce concours de désirs et de volontés naquit en 1856 un matériel d’artillerie rayée qui constituait un progrès immense sur le passé. Les découvertes et les travaux qu’on a faits depuis cette époque permettent peut-être aujourd’hui de faire la critique de cette artillerie ; mais, au moment où elle parut, elle était incontestablement très supérieure à tout ce que possédaient les autres marines, et même, pour être tout à fait juste, il ne faut pas oublier qu’après tout ses canons ont subi avec quelque honneur les épreuves de la pratique. En 1858, plusieurs de nos bâtimens armés de pièces fournies par l’artillerie de marine, le Phlégéton entre autres, prirent une part très brillante aux opérations devant Canton, et n’eurent à regretter aucun accident. En 1860 aussi, les quatre canonnières qui, sous les ordres du vaillant amiral Page, jouèrent le rôle principal dans la réduction du grand fort de Ta-kou étaient pourvues de pièces qui venaient de la même origine. À tout prendre, c’était, même avec ses défauts, une artillerie pratique, et l’on n’en saurait peut-être pas dire autant de toutes les artilleries qui ont été adoptées en d’autres pays.

Quoi qu’il en soit, l’empressement que mettait l’administration de la marine à montrer qu’elle était capable de se suffire à elle-même ne devait pas la soustraire à la nécessité d’entrer en concurrence avec l’artillerie de l’armée. Elle avait fait des preuves honorables ; mais, s’il se produisait en dehors d’elle des questions à peu près identiques à celles qu’elle avait entrepris de résoudre, n’y aurait-il pas lieu de comparer ce qu’elle avait fait avec ce que feraient les autres, et si par hasard les autres faisaient mieux, ne lui faudrait-il pas se modifier elle-même en sacrifiant quelques-unes de ses œuvres ? Ces questions ne tardèrent pas à se présenter. Entre canons de remparts ou canons de côtes et canons de vaisseaux la similitude est grande, les calibres sont les mêmes, les conditions du service et du tir sont à peu près pareilles ; il n’y a de différence quelque peu notable que dans les affûts, ce qui assurément n’est presque rien. Aussi, lorsque l’artillerie de l’armée, après avoir pourvu à son matériel de campagne, passa à l’étude du matériel destiné à la défense des côtes et des places fortes, il dut nécessairement y avoir lieu à comparaison entre les produits des deux départemens. Il en a été de même lorsqu’on a abordé la question des pièces à chargement par la culasse, de même encore pour presque tous les détails de l’armement.

Dès 1856, les deux départemens s’étaient vus en présence au