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ment l’excellence de l’œuvre, voire la compétence et le juste crédit de ceux qui du premier coup l’ont attribuée à Raphaël; mais leur penchant, bientôt ils en conviennent, les porte à l’opinion contraire. Et pourquoi? Les raisons qu’ils en donnent n’ont pas grande portée, comme tout à l’heure nous le verrons. La vraie cause de leur hésitation, c’est l’absence de documens écrits. Pour eux, ce genre de preuve ayant seul quelque poids, tant qu’on ne produira pas un texte pertinent, ils resteront dans leur incertitude. Toutes les conjectures seront pour eux comme non avenues, ou plutôt elles leur sembleront toutes également respectables, sauf une seule cependant: M. Gargani Garganetti, bien qu’il s’appuie sur une pièce écrite, ne parvient pas à les convaincre que Neri di Bicci soit l’auteur du Cenacolo. Donner pour père à ce chef-d’œuvre un pauvre hère comme Neri di Bicci, cela les révolte tout aussi bien que nous, et ils ont le courage de le dire nettement; mais de Neri di Bicci à Raphaël, la distance est si grande, il y a tant de degrés! Pourquoi ne pas rester à moitié route? Cela pourrait tout accommoder! Si vous leur proposiez Pinturrichio par exemple, ils n’en seraient pas troublés comme de Raphaël; cette attribution terne et modeste les laisserait en sécurité. Aussi prononcent-ils ce nom sans toutefois oser le soutenir. Ils s’abritent derrière le témoignage du docteur Burckhardt, qui, dans ses notes sur l’histoire de Kugler[1], remarque avec raison, et comme nous l’avions fait nous-même, que cette fresque semble avoir une double origine, à la fois florentine et péruginesque, et que l’auteur par conséquent ne peut être ni un Florentin pur, ni un élève du Pérugin resté docilement fidèle à ses leçons. Cette définition, j’en conviens, s’applique à Pinturrichio, mais encore mieux à Raphaël, lui qui porte au souverain degré ce double caractère d’enfant de Florence et de Pérouse. Le peintre de la librairie de Sienne a trop bien donné sa mesure, son œuvre est trop connue, il a trop laissé voir, malgré tout son talent, jusqu’à quelle hauteur il pouvait s’élever, pour qu’il y ait lieu d’admettre une sérieuse identité entre lui et le peintre inconnu da la fresque de S. Onofrio.

Mais alors pourquoi pas Raphaël? où est la difficulté? quelles sont ces objections que tout à l’heure nous annoncions? Les voici :

D’abord les têtes dans cette fresque sont, nous dit-on, trop fortes pour les corps, sorte de disproportion assurément peu familière à Raphaël; en second lieu, ces têtes n’ont pas d’analogie avec les types qu’on retrouve et dans le Couronnement de la Vierge, maintenant au Vatican, et dans le Spozalizio de Milan, et dans la fresque de San-Severo; troisièmement, l’exécution technique est trop franche, trop

  1. Handbuch der Kunstgesschichte der Malerei; Berlin 1847 (2e édition).