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arrivent ces conversations d’officiers qui forment l’opinion publique d’un corps expéditionnaire, ce bourdonnement militaire, cette « chronique de la mèche, » suivant la pittoresque expression de nos marins, dont les correspondances mexicaines nous transmettent l’écho.

Maintenant que nous n’avons plus à redouter de désastres pour nos troupes engagées, c’est sur l’ampleur de l’expédition devenue nécessaire que nous voudrions voir se fixer avec précision et fermeté l’attention des hommes politiques et du public. Deux conditions s’imposent à la politique française, si elle veut se préserver à l’avenir des choquantes déceptions au-devant desquelles elle est allée avec tant de légèreté et d’insouciance dans les débuts de cette entreprise mexicaine. La première, c’est de ne rien épargner quant aux moyens qui doivent rétablir l’honneur de nos armes et la renommée de la France en Amérique ; la seconde, c’est d’appliquer la même prévoyance et la même énergie de volonté à limiter nos prétentions politiques envers le Mexique. Il faut que nous soyons résolus à nous montrer forts et modérés, d’autant plus modérés que nous aurons été plus forts. En d’autres termes, il est nécessaire que, par la limitation précise de nos prétentions politiques aussi bien que par l’efficacité de notre action militaire, nous enlevions pour ainsi dire au hasard toutes les chances qui pourraient faire dévier cette guerre et l’éterniser. Il n’est permis de soulever des questions comme celle-là, si excentrique, si éloignée du courant des affaires et des vocations de la France, aussi peu utile à notre gloire qu’elle risque d’être onéreuse à nos finances, que lorsque l’on est sur d’avance que l’on en sortira promptement, et que l’on possède le moyen certain d’en sortir. Il n’est pas supportable en vérité que, dans un temps comme le nôtre, un grand pays joue ses ressources à la loterie et fasse de la politique au petit bonheur. Nous voulons donc à la fois, afin de mettre le terme le plus prochain possible à cette triste question mexicaine, et que l’on n’épargne rien pour obtenir promptement le succès militaire qui nous est indispensable, et que l’on n’affiche envers le Mexique aucune exigence qui puisse dénaturer et prolonger la lutte. Être contraint d’adresser à la politique française une telle réclamation, c’est résumer en deux mots toutes les critiques que cette politique a encourues depuis le commencement de l’affaire mexicaine, critiques que n’a point réussi à réfuter le plaidoyer prononcé l’autre jour par M. Billault devant le corps législatif.

Ce discours de M. Billault est à notre sens un des moins heureux que l’habile orateur ait fait entendre depuis qu’il est dans nos chambres l’apologiste officiel de la politique du gouvernement. Que M. Billault eut eu beau jeu, lui qui est un argumentateur politique d’une rare adresse, s’il eut eu à réfuter un système de défense tel que celui qu’il a présenté ! — Quoi ! aurait-il pu dire, vous vous êtes embarqués dans cette affaire en embrassant les perspectives à la fois les plus vastes et les plus flottantes, et avec les moyens d’action les plus médiocres et les plus insuffisans ! Vous envisagiez