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tique la sécurité de leur liberté religieuse. Plus ils seront sincères et fervens dans leur foi, et plus ils seront contraints de se recommander de la liberté politique et de s’en servir. Nous ne pouvons donc qu’être attristés de l’aveuglement et de l’inutile opiniâtreté de l’épiscopat. Nous déplorons qu’il ne comprenne pas qu’il lui importe de se ménager une transition vers l’ordre de choses où il va entrer. Il va avoir besoin de la liberté ; croit-il pouvoir, sans danger pour son honneur et sans scandale pour les consciences, maudire la liberté jusqu’au moment même où il sera contraint de l’invoquer ?

Les vieillards qui vont répétant tristement depuis si longtemps que le monde est malade ont sans contredit raison aujourd’hui. Le monde aujourd’hui est une grande maladrerie de peuples ; les malades vont-ils mieux ou plus mal ? L’épidémie a-t-elle fait quelque nouvelle victime ? C’est à ces questions que répondent les bulletins sanitaires de la politique. Il est bien rare qu’ils fassent mention d’une guérison. Cette fois nous ne nous occuperons point des malades ; nous laisserons la sombre Russie en proie au fléau des incendies, l’Autriche éprouvée essayer de bonne foi le gouvernement parlementaire en dépit de l’opposition rétrograde de sa chambre haute, de la résistance passive des Hongrois, et de cette étrange ovation populaire que deux mille Hongrois ont reçue à Trieste sans que les journaux en aient rien su. Nous laisserons l’inerte Turquie se quereller avec ses populations chrétiennes du Danube, qu’elle pourrait cependant se rattacher plus facilement que ne le feront jamais ni la Russie ni l’Autriche. Nous ne parlerons pas du grand drame américain. Nous nous contenterons d’annoncer l’heureuse guérison politique du petit état de Genève. Genève, on le sait, était depuis bien des années dominée par le radicalisme ; elle a eu à sa tête pendant cette période un dictateur spirituel et hardi, M. Fazy, qui, il est juste de le reconnaître, n’a jamais songé à se protéger par la suppression de la presse et l’intimidation des élections. M. Fazy et sa constitution ont duré ce que durent en moyenne les gouvernemens en France depuis 1789, c’est-à-dire une quinzaine d’années. M. Fazy éprouva, il y a quelque temps, un sérieux échec électoral, et voici que la révision de sa constitution vient d’être votée. Dimanche 15 juin, les Genevois ont élu la constituante qui doit accomplir cette œuvre de régénération. Les libéraux paraissent avoir obtenu dans cette élection un éclatant succès, car, sur 104 membres dont se compose l’assemblée constituante, les partisans de l’ancien dictateur ne figurent qu’au nombre de 18, et encore grâce à l’appui que leur ont donné les voix catholiques. Un sentiment d’honnête moralité, non une pensée réactionnaire, paraît avoir inspiré cet intéressant mouvement de l’opinion genevoise. C’est le début d’une ère nouvelle, et l’on cite le mot du président du collège de Genève. Il était quatre heures du matin, le dépouillement était assez avancé pour faire prévoir le résultat ; le président, s’adressant au concierge du bâtiment électoral, lui dit : « Monsieur