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trêmes, dominer Rome comme Romain, ou la briser comme conquérant et maître. Ce fut là son historie et le mystère de ses perpétuelles incertitudes pendant les dix années qu’il passa en Occident. On eût dit qu’Eutrope, en le plaçant si près de l’Italie, connaissait toutes les passions qui pouvaient agiter cette âme inflammable. La fortune de Stilicon l’irritait; il ne voyait plus Rome que dans la personne de ce Vandale, et eût voulu parfois la punir de s’être donnée à un Barbare qui n’était pas Alaric. Une autre pensée aussi se faisait jour en lui dans ses retours aux instincts de sa race, pensée sauvage, mais brûlante, et qui ne lui laissait pas de repos : c’était d’attacher son nom à une profanation qui étonnerait le monde, de violer la ville inviolable, d’arracher le diadème à la reine des nations. A force d’y penser, il se croyait prédestiné à cette mission formidable; c’était comme une obsession qui venait le saisir par intervalles et à laquelle il finit par succomber. Pour le moment, il ne songeait qu’à s’introduire en Italie avec le moins de risques possibles. Se trouvant à peu près libre de ses engagemens envers l’empereur d’Orient, il cherchait à faire une alliance quelconque avec celui d’Occident, pour mettre un pied dans ses domaines et y profiter des circonstances. Tantôt il demandait quelques terres incultes en Italie, tantôt il priait qu’on le laissât traverser la Ligurie jusqu’en Gaule, offrant de garder cette grande préfecture contre toute agression du dehors, sans doute avec son titre de maître des milices, qui lui serait confirmé. Il eût ainsi passé du service d’Arcadius à celui d’Honorius avec un accroissement de dignité. Stilicon, justement alarmé, semblait consentir, puis refusait sous divers prétextes, ne cherchant qu’à gagner du temps. On lui en sut plus tard mauvais gré, et il y eut des Romains qui l’accusèrent de perfidie vis-à-vis des Goths, dont il avait trompé, osait-on dire, la simplicité et la bonne foi.

Alaric, de son côté, préparait la guerre, tout en négociant. On apprit qu’il faisait d’immenses approvisionnemens d’armes et de vivres en Épire et en Thessalie, et qu’il achevait de ruiner le pays : c’étaient ses adieux. Il descendit alors en Pannonie par les Alpes dardaniennes, soit pour s’entendre avec le partisan Gaïnas s’il tenait encore, soit pour renforcer son armée de tous les bras barbares sans emploi dans la vallée du Danube. Il était trop tard quant à Gaïnas lui-même, dont la tête fut apportée à Constantinople le 3 janvier de l’année 401; mais la dispersion de ses bandes laissait disponible un nombre immense d’aventuriers qui accoururent près d’Alaric. Le séjour du roi goth en Pannonie lui servit encore à exciter les Barbares du Haut-Danube, qui se jetèrent en armes dans les plaines du Norique et de la Vindélicie, poussant devant eux les montagnards des