Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doute l’auteur entre délibérément dans la carrière, puisque le récit qu’il publie aujourd’hui n’est que le premier d’une série d’épisodes qu’il semble se proposer d’écrire sous le titre de drames de village. De plus, on ne peut le méconnaître, il y a dans ces pages par lesquelles le romancier nouveau commence son œuvre un art de dissection et d’analyse qui n’est pas sans une certaine vigueur inexorable, une couleur chaude d’expression, de la sagacité et des intentions sérieuses. Pour tout dire, Antoine Quérard est un roman qui inquiète, qui trouble par ce qu’il a de violent, par ce qu’il contient de scènes dangereusement scabreuses, mais qu’on lit, et ce n’est point déjà le signe d’une médiocrité banale. N’y a-t-il pas cependant quelque chose de factice dans le genre d’intérêt qu’excite le livre, dans ces personnages qui se mêlent? L’impression d’une lecture rapide évanouie, que reste-t-il?

Et d’abord, il faut bien l’avouer, Antoine Quérard est une de ces histoires telles que semblent les affectionner beaucoup d’écrivains nouveaux, une histoire prise au plus vif des mœurs intimes de la société ordinaire, une histoire tragique dans des conditions vulgaires. Il y a peu ou point d’événemens extérieurs. Tout est analyse, anatomie, peinture de toutes les nuances d’une situation où la passion conduit au crime, un crime qui dévore celui qui le commet en restant le secret de la conscience du criminel. L’auteur, il est vrai, a mêlé au tissu de son drame quelques personnages qui représentent l’élément comique, quelques types de provinciaux; mais ces personnages ont le défaut d’être tout artificiels, de n’avoir d’autre originalité que celle d’une habitude, d’un vêtement, d’une locution familière qui les fait reconnaître; ils ressemblent un peu à des hommes dont toute l’originalité consisterait dans une infirmité physique. Ces honnêtes et ridicules habitans d’un village du Perche, le Bourguy, n’ont d’autre valeur que d’être placés là pour égayer la scène sans y réussir toujours. Au fond, tout l’intérêt est dans le personnage principal et dans la situation qu’il se crée, dans le drame lugubre dont il devient le héros, si l’on peut se servir d’un tel mot ici. Quel est donc ce personnage, cet Antoine Quérard dont M. Charles Bataille raconte l’histoire? C’est un jeune homme né d’un père honnête et pauvre qu’il a perdu, et recueilli par un oncle opulent, un gros Limousin, hanté de quelques velléités aristocratiques, mais possédé surtout du démon de la propriété, qui veut marier son neveu avec la fille d’un propriétaire du voisinage, afin de fonder par l’alliance des fortunes une riche maison. Le malheur est qu’Antoine Quérard, quoique déjà médecin et ayant passé quelques années à Paris, a d’étranges chimères dans l’esprit et a l’idée, au moins imprévue, d’aller s’éprendre d’un amour singulier pour une jeune fille qu’il découvre dans un café borgne d’une petite ville voisine. La jeune Clémentine lui apparaît comme l’incarnation humaine de son rêve, et il fait si bien que, n’ayant pas d’autre moyen de la posséder, il veut l’épouser. Là éclate la rupture entre l’oncle et le neveu, et Antoine Quérard, sans res-