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fession ;… » puis plus rien. La mort a fait justice, emportant le sombre secret, que le romancier a pourtant connu.

Certes c’est là une effroyable histoire. Ce qu’il y a de vulgaire, l’auteur le dissimule par un talent assez habile, par des scènes dramatiques, par des analyses poignantes de la conscience d’un homme qui s’agite dans le crime. Au fond, ce qui lie ces deux êtres, ce qui les conduit par de si redoutables chemins jusqu’à la mort, ne reste pas moins vulgaire, car le médecin Antoine Quérard a beau parler de rêves, d’aspirations indéfinies, il n’est agité après tout que par l’ardeur des sens, et cette jeune fille elle-même. Rosette, est une malheureuse créature sans innocence, sans candeur, qui a tout ce qu’il faut pour devenir une courtisane, et dont l’âme n’est pour rien dans la sombre destinée qu’elle subit. Ce sont les sens qui nouent ce drame; c’est une intrigue peu relevée qui finit par le crime et la mort après avoir passé par des péripéties où il n’y a d’intérêt véritable que dans les agitations de la conscience de Quérard. Que reste-t-il donc? Une œuvre de plus dans la littérature réaliste, dans cette littérature qui a produit, à des points de vue différens. Madame Bovary et Fanny, une œuvre procédant toujours de cette idée, que l’unique objet de l’art est de prendre indifféremment toutes les réalités quelles qu’elles soient, de mettre en lumière les replis les plus grossiers, souvent les plus vulgaires, de la nature humaine. On est conduit ainsi à des conceptions toutes matérialistes, à la suppression de tout un côté de la nature humaine et de l’art, et, sous pré- texte d’exactitude, à une altération systématique de la vérité. Le talent de M. Charles Bataille est sans doute de ceux qui s’élèveraient en évitant de tomber dans ces pièges, en observant le monde, la société, la nature morale sous leurs aspects divers, en se pénétrant de cette pensée que l’art n’est pas un simple procédé de reproduction photographique, et qu’il n’est justement une création que parce qu’il transforme les élémens humains en les combinant dans la mesure d’une vérité plus générale et plus pure.

C’est malheureusement le propre du roman réaliste, et Antoine Quérard n’échappe pas à la loi commune, d’offrir le plus souvent le spectacle de toutes les misères humaines, de représenter les passions, les caractères dans ce qu’ils ont de plus criant ou de plus banal. Plus il met de crudité dans ses peintures, plus il croit avoir réussi. La vérité est qu’il y a un charme indéfinissable dans une certaine lumière de l’idéal répandue sur la réalité, dans l’élévation morale d’une œuvre romanesque. Je ne veux pas dire qu’il suffise pour intéresser d’ouvrir son esprit à d’autres idées que celles d’où est sorti le réalisme contemporain, et c’est peut-être surtout dans la littérature, dans le roman, que les bonnes intentions n’égalent pas une bonne œuvre; mais elles peuvent la préparer et la rendre possible, quand elles ont le talent pour complément. Ces bonnes intentions, M. Charles Gouraud les a évidemment; il les montre dans son roman de Cornélie, qui n’est la glorification ni des instincts matérialistes ni des passions gros-