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croyait l’arbitre en restant indécis. Les deux négociations suivaient leur cours caché, quand la mort de Henri IV vint les pousser vers la crise, et mettre Jacques dans l’embarras en l’obligeant à prendre un parti, du moins à en avoir l’air.


III.

En quittant l’Angleterre, dans l’automne de 1604, après y avoir conclu la paix, le connétable de Castille, don Alonzo de Velasco, avait traversé la France, s’était arrêté à Fontainebleau, où se trouvait Henri IV, et avait jeté, à travers la négociation commerciale qui se suivait alors entre la France et l’Espagne, de pompeuses ouvertures pour une alliance politique des deux couronnes, même, dit Sully, « pour un double mariage de leurs communs enfans, qu’il semblait que Dieu eût rendus d’un âge sortable pour l’établissement d’un si grand bien. » Henri IV, toujours accueillant et prudent à la fois, avait écouté ces ouvertures de bonne grâce, mais sans y répondre autrement que par de belles paroles, se réservant de s’en entretenir avec Sully, qui, prudent à son tour comme son maître, même dans leur intimité, lui demanda tout un jour pour y bien penser avant de lui donner son avis, « afin, disent ses mémoires, que si d’aventure vous disiez quelque chose contre son goût, il ne vous accusât plus de trop grande promptitude, comme il avait accoutumé de faire lorsque vous faisiez sur-le-champ des répliques qui ne lui plaisaient pas. De laquelle réponse et demande le roi se mit à sourire, et vous l’accorda en vous donnant un petit soufflet en se jouant, comme c’était sa coutume lorsque vous le preniez en bonne humeur, et lui disiez de ses vérités qui ne lui désagréaient pas[1]. » Le lendemain, l’avis de Sully fut très clair et positif. « Après avoir bien examiné les discours du connétable de Castille, il y aurait, dit-il au roi en se promenant avec lui sur la terrasse des Tuileries, de quoi faire quelque chose de bon, si tous les Espagnols étaient devenus blancs en loyauté comme des anges, et non pas demeurés basanés en perfidie comme des diables; il n’est pas fort difficile à comprendre que ce connétable n’a eu d’autre dessein que de faire abandonner au roi les provinces-unies des Pays-Bas, détruire ses plus certains et confidens alliés, et le priver des bonnes assistances que les Anglais et les Hollandais lui ont données... Il n’y a, au moins selon mon opinion, nuls mariages, quelque redoublés ou bien assortis qu’ils puissent être proposés, dont l’on doive espérer des fruits et des

  1. OEconomies royales, t. V, p. 369, 372. On sait que les mémoires de Sully ont été écrits, sous ses yeux et presque toujours sous sa dictée, par ses secrétaires qui les lui adressent, comme lui racontant à lui-même ses actes et sa vie.