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quand il reporta à la cour de France les désirs du roi son maître pour obtenir en faveur du prince de Galles la main de la princesse Christine, parvenue alors à l’âge de dix ans, il se trouva devancé, par le duc de Savoie, Victor-Amédée Ier. Fidèle en ce point à la politique de Henri IV, qui avait toujours voulu s’assurer contre l’Autriche l’alliance piémontaise, Marie de Médicis préféra ce mariage italien et catholique aux offres anglaises, et Jacques, malgré l’éclat de son ambassadeur, ne réussit pas mieux à Paris qu’à Madrid.

Mais son échec en France ne fut pas pour lui tout à fait perdu : il obtint en Espagne le résultat qu’il s’en était promis. La cour de Madrid prit l’alarme; le duc de Lerme, fastueux et timide, ne voulait ni que l’Espagne se brouillât avec l’Angleterre, ni que la royauté française éclipsât en Europe la royauté espagnole. Il fit faire au roi Jacques de nouvelles ouvertures pour le mariage de l’infante Marie avec le prince de Galles. Il avait à Londres l’ambassadeur le plus propre à reprendre et à poursuivre cette négociation. Don Diego Sarmiento de Acuña, comte de Gondomar, vivait depuis longtemps en Angleterre et en connaissait à merveille le roi, la cour, le peuple. Par ses grandes manières, par sa tranquille finesse, par l’enjouement de son esprit et de sa conversation, par son habile complaisance à entrer dans les mœurs et les goûts qui n’étaient pas les siens, il avait acquis auprès du roi Jacques non-seulement une faveur de courtisan, mais un crédit de politique; il parlait en mauvais latin pour donner au roi le plaisir de le redresser. Quand le roi, malgré son humeur pacifique, avait quelque boutade d’orgueil anglais, Gondomar n’y prenait pas garde. « J’ai plus de gibier et de poisson dans un comté d’Angleterre qu’il n’y en a dans toute l’Espagne, lui dit un jour Jacques. — Oui, sire, répondit Gondomar, et le roi mon maître a les mines d’or et d’argent dans les deux Indes. — Sur mon âme! reprit Jacques, j’ai bien de la peine à empêcher mes gens de les lui prendre. » Et Gondomar ne répliqua rien. C’était bien assez, à son avis, que le roi Jacques s’employât à contenir l’ardeur conquérante et protestante de son peuple; on pouvait sans péril lui laisser le plaisir de le dire. Gondomar ne se préoccupait pas seulement du roi : par ses libéralités, tantôt répandues avec profusion, tantôt insinuées avec un art discret, il s’était assuré à la cour et hors de la cour, dans les rangs élevés et dans les conditions subalternes, des partisans et des agens. Quoiqu’il ne fut plus jeune, il excellait à plaire aux femmes, soit par son élégante galanterie, soit par des présens bien placés et bien offerts, et il savait, selon sa convenance, les faire parler ou les faire taire. « Quand il se rendait au palais, dit un contemporain, les dames qui demeuraient sur son passage se mettaient à leur balcon ou à leur fenêtre avec une curiosité bienveillante, et de sa chaise à porteurs ou de sa litière il y ré-