Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout récemment, en 1620, le jeune roi qui devait être dans ce siècle le héros de la Suède, je pourrais dire de l’Europe, Gustave-Adolphe, avait traversé incognito l’Allemagne pour aller voir et vraiment connaître, à Berlin, la princesse Eléonore de Brandebourg, qu’on lui proposait d’épouser. Enfin en 1589 Jacques Ier lui-même, alors roi d’Ecosse seulement sous le titre de Jacques VI, impatienté de ne pas voir arriver sa fiancée, la princesse Anne de Danemark, était allé l’épouser à Upsal, laissant à son départ cette lettre adressée au conseil privé d’Ecosse : « Comme je crois qu’on parlera très diversement de mon voyage et qu’on l’interprétera à tort et à travers, tantôt à ma honte, tantôt pour blâmer injustement des innocens, je me suis décidé à écrire de ma main la présente déclaration... Il est connu de tout le monde que tout le monde m’a reproché de différer si longtemps mon mariage; j’étais seul, disait-on, sans père ni mère, frère ni sœur, roi de ce royaume et héritier présomptif d’Angleterre. Mon isolement me rendait faible et mes ennemis forts, j’étais un homme qui ne semblait pas un homme, et le défaut de successeurs engendre le mépris. Ces raisons et bien d’autres m’ont déterminé à presser mon mariage, car Dieu m’est témoin que, par ma nature, j’aurais pu m’en abstenir plus longtemps, si le bien de ma patrie l’eût permis... J’ai donc résolu de mettre à la voile pour aller chercher ma fiancée, retenue en Norvège par les tempêtes. J’ai tenu ma résolution secrète et ignorée de tous, même du chancelier, à qui j’ai coutume de parler de mes plus grandes affaires. J’ai agi ainsi par deux raisons : d’abord parce que si j’avais pris à ce sujet son conseil, on l’eût blâmé de m’avoir mis cette idée en tête, ce qui eût été contre son devoir, ensuite parce que je sais qu’il est injustement et haineusement accusé de me mener par. le nez et selon toutes ses fantaisies, comme si j’étais une créature sans raison ou un bambin incapable de rien faire par lui-même. Pour mon propre honneur, je ne veux pas être considéré comme un âne irrésolu, pas plus que je ne veux qu’on calomnie l’honnêteté de cet homme. D’ailleurs le passage est court, exempt d’écueils et de bancs de sable; les ports de cette contrée sont sûrs, et il n’y a sur ces mers point de flotte étrangère. » La résolution du roi Jacques était plus chevaleresque que ses motifs; mais en tout cas son fils, le prince Charles, avait là assez et d’assez grands exemples pour courir à son tour une semblable aventure.

Qui fut le premier à concevoir et à conseiller ce dessein? Les assertions des contemporains à ce sujet sont diverses. Quelques-uns affirment que ce fut le comte de Gondomar qui dit un jour à Madrid, où il était alors en congé : « Si jamais ce mariage se fait, ce sera quand le prince de Galles viendra lui-même le conclure, » et ce propos, rapporté à Londres, y fut considéré comme une insinuation