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décisive. D’autres l’attribuent au comte d’Olivarez, qui aurait dit que si le prince doutait de la sincérité du roi son maître, il n’aurait qu’à venir y regarder pour en être assuré. Selon d’autres, et d’après quelques paroles de Charles lui-même devant le parlement, « l’héroïque pensée de sa visite à la cour de Madrid naquit dans son propre cerveau. » La plupart, avec raison, je crois, attribuent à Buckingham la première idée de l’entreprise et le travail préliminaire pour la faire adopter. « Il était jaloux, dit Clarendon, que le comte de Bristol eût seul la conduite de cette grande affaire; il déplora un jour, en s’entretenant avec Charles, le malheur commun des princes, qui n’avaient eux-mêmes aucune part dans leur mariage, d’où dépendait si essentiellement leur bonheur en ce monde, et qui ne connaissaient que par les rapports d’autrui, et de gens rarement désintéressés, le caractère, l’humeur, la figure de la dame qu’ils devaient épouser. Quelle brave et galante résolution ce serait, de la part de son altesse, de faire un voyage en Espagne et d’aller chercher chez elle sa maîtresse ! Cela mettrait fin à toutes ces formalités qui, d’après les lentes habitudes de cette cour, et quoique toutes les conditions essentielles fussent déjà réglées, pouvaient retarder pendant bien des mois l’arrivée de l’infante en Angleterre. La présence du prince couperait court en un moment à tout cela, et l’infante elle-même lui en aurait une obligation dont elle ne croirait jamais pouvoir s’acquitter, car jamais tant de respect n’aurait été, en pareil cas, témoigné par un prince, et l’infante ne pouvait manquer d’y voir une haute estime pour sa personne. De plus la grande affaire qui restait encore un peu en suspens, quoique en bon train de délibération, la restitution du Palatinat au prince son beau-frère, en recevrait une impulsion favorable ; le roi d’Espagne saisirait probablement cette occasion de trancher lui-même une question qui, entre les mains d’un ambassadeur, pouvait traîner encore bien longtemps; l’infante mettrait certainement son ambition à payer, par sa médiation dans cette affaire, une part de sa dette envers le prince, et de concert avec elle et par son influence il pourrait ainsi présenter au roi son père la prospérité et la paix rétablies dans sa famille, ce qu’aucun autre moyen humain ne pourrait accomplir. »

La conversation et le raisonnement sont puissans quand ils s’accordent avec le caractère et les penchans de celui qu’il s’agit de persuader. Malgré sa dignité un peu froide et hautaine, Charles était naturellement chevaleresque et romanesque, enclin aux résolutions brillantes et aux sentimens tendres, confiant en lui-même et peu habile à considérer et à débattre les diverses faces d’une question et d’une conduite. Quelque nombreuses qu’y fuissent les mascarades et les fêtes, la cour de Jacques Ier était peu variée et