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niens, tous les périls de ce voyage se présentèrent à l’esprit du roi et le rejetèrent dans ses incertitudes accoutumées. Quand le prince et Buckingham vinrent le lendemain lui demander la dépêche qu’il devait leur remettre, ils le trouvèrent perplexe, désolé, et à peine avait-il commencé à leur parler, qu’il fondit en larmes et se répandit en objections et en lamentations sur leur dessein : les difficultés de l’incognito en traversant la France, les nouvelles exigences que produirait infailliblement la cour de Madrid quand elle aurait le prince de Galles entre ses mains, les exigences bien plus grandes encore qu’élèverait le pape, et dont la cour de Madrid serait ou complice ou esclave, l’irritation publique qui éclaterait en Angleterre, toutes ces alarmes, toutes ces prédictions sinistres se pressaient sur ses lèvres en paroles précipitées et confuses. Le prince et le favori ne tentèrent point de répondre aux objections et aux inquiétudes du roi; Charles se borna à lui rappeler sa promesse de la veille, déclarant que, si elle n’était pas tenue, il ne penserait plus jamais, lui, à aucun mariage. Moins respectueux et connaissant mieux le caractère de Jacques, Buckingham le traita plus rudement. S’il manquait ainsi, lui dit-il, à sa parole, personne n’aurait plus en lui la moindre confiance; il avait sans doute parlé de ce projet à quelque drôle qui lui avait fourni les pitoyables objections qu’il venait de leur faire; il se promettait bien, lui Buckingham, de découvrir quel était ce conseiller, et à coup sûr le prince ne lui pardonnerait jamais. Le roi interrompait, s’emportait, se désespérait; mais, tout en se défendant, il perdait peu à peu du terrain, si bien que le prince et Buckingham en vinrent à nommer les deux personnes qu’ils se proposaient, si le roi les approuvait, de prendre pour leurs compagnons de voyage, sir Francis Cottington et Endymion Porter, deux hommes d’esprit fort au courant de l’Espagne, où ils avaient longtemps vécu, et bien connus du roi, qui leur portait confiance. Jacques approuva ces deux choix. « Il faut les faire venir, dit-il; ils vous indiqueront, pour ce voyage, une foule de choses nécessaires auxquelles, vous deux, vous ne penseriez jamais. » On envoya chercher Cottington, qui appartenait à la maison du prince et se trouvait de service ce jour-là. « Il sera contre le voyage, dit tout bas Buckingham à Charles, — Il n’osera pas, répondit Charles. — Cottington, lui dit le roi dès qu’il le vit entrer, vous avez toujours été un honnête homme; je veux vous consulter sur une affaire de la plus haute importance, et dont, sur votre vie, vous ne direz un mot à qui que ce soit. Voilà mon garçon Charles et Steenie (c’était le nom qu’il donnait familièrement à Buckingham) qui ont grande envie d’aller en poste à Madrid chercher l’infante; ils ne veulent avoir que deux compagnons, et ils vous ont choisi pour l’un des deux. Que pen-