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sez-vous du voyage ? » Cottington tremblait de se compromettre ; mais, le roi insistant, il répondit qu’il n’en pouvait bien penser. « Cela ne servira, dit-il, qu’à rendre inutile tout ce qui a déjà été fait pour le mariage. Quand les Espagnols auront le prince entre leurs mains, ils ne se croiront plus obligés par les articles déjà convenus ; ils feront de nouvelles conditions qu’ils croiront plus avantageuses pour eux, et parmi lesquelles il y en aura certainement de relatives à l’exercice de la religion catholique en Angleterre. — Je vous l’ai dit, s’écria le roi en se jetant sur son lit ; je serai perdu, et mon fils Charles aussi. » Buckingham maltraita Cottington. « De quoi se mêlait-il de donner son avis sur une affaire d’état ? Le roi ne lui parlait que du voyage même et des meilleurs moyens de le faire ; sur cela seulement il était un conseiller compétent ; il se repentirait de sa présomption. — Non, de par Dieu, Steenie, dit le roi d’un accent douloureux. Vous avez grand tort de le traiter ainsi ; il a répondu positivement et honnêtement à la question que je lui ai faite ! Vous savez bien qu’il n’a dit que ce que je vous disais avant qu’il arrivât. » Cottington se retira. La conférence se prolongea quelque temps ; mais, quand elle finit, le roi Jacques avait complètement cédé, la question du voyage était résolue, et il ne s’agissait plus, comme la veille, que de fixer le jour du départ des voyageurs.


V.

Ils quittèrent Londres le 27 février 1623, le prince disant qu’il allait chasser à Theobalds, et Buckingham qu’il allait prendre médecine à Chelsea. Ils se rendirent à New-Hall, terre récemment acquise par Buckingham dans le comté d’Essex, et en partirent le lendemain, prenant les noms de John et de Thomas Smith, portant de fausses barbes et suivis d’un seul serviteur, sir Richard Graham, écuyer du marquis. Ils devaient trouver à Douvres les deux compagnons de leur aventure, Cottington et Porter. Les embarras commencèrent pour eux dès leurs premiers pas ; en sortant de Rochester, ils rencontrèrent l’ambassadeur de France, le comte de Tillières, qui faisait une course aux environs de Londres dans un carrosse du roi. Quelqu’un des gens de la cour qui l’accompagnaient ou l’ambassadeur lui-même aurait probablement reconnu les voyageurs ; ils firent sauter par-dessus la haie de la route leurs chevaux de poste, peu accoutumés à cet exercice, et laissèrent passer l’ambassadeur. En traversant la Tamise à Gravesend, et faute de monnaie, ils donnèrent au batelier du bac une pièce d’or ; le batelier surpris supposa que les deux gentilshommes allaient se battre en duel sur l’autre rive de la Manche, et parla tout haut de sa conjecture. Le bruit en