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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/302

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Angleterre, parmi le peuple encore plus qu’à la cour, une surprise pleine de blâme et d’inquiétude. « Mes chers enfans et aventureux chevaliers, dignes d’être mis dans un roman nouveau, écrivit le 8 mars le roi Jacques aux deux voyageurs, je vous remercie de vos rassurantes lettres ; mais, hélas ! ne croyez pas que vous restiez bien des heures sans être reconnus : le bruit de votre départ était déjà si répandu le jour même où vous arriviez à Douvres que l’ambassadeur de France y envoya sur-le-champ un homme qui trouva le port fermé; mais je ne me fie pas à la simple fermeture des ports : il y a tant de petites criques par où l’on peut partir! J’ai expédié sur-le-champ Duncaster[1] au roi de France avec une petite lettre de ma main, voulant avoir pour lui cet égard de l’informer que mon fils traversait incognito son royaume. J’ai fait cela de peur que, sur le premier bruit de votre passage, il ne saisît un prétexte pour vous arrêter. Ainsi, mon cher enfant Charles, vous ferez bien, dès que vous serez arrivé en Espagne, d’écrire courtoisement au roi de France pour vous excuser de votre traversée précipitée, et de lui envoyer votre lettre par un gentilhomme, si vous en avez un dont vous puissiez vous passer. » L’inquiétude et le déplaisir public en Angleterre étaient tels que le roi Jacques resta plusieurs jours à Newmarket pour en éviter les marques. Revenu cependant à Whitehall, il demanda à son garde-des-sceaux, l’évêque de Lincoln : « Croyez-vous que ce voyage de chevalier errant réussira, qu’il fera la conquête de sa dame et la ramènera bientôt en Angleterre? — Sire, dit l’évêque, si mylord marquis de Buckingham traite avec de grands égards le comte-duc Olivarez, se souvenant qu’il est en Espagne le favori, et si le comte-duc Olivarez est très poli et soigneux pour mylord marquis de Buckingham, se souvenant qu’il est le favori en Angleterre, le prince votre fils pourra faire heureusement sa cour à l’infante; mais, si le comte-duc et le marquis oublient mutuellement ce qu’ils sont l’un et l’autre, ce sera bien dangereux pour le dessein de votre majesté. Dieu veuille que ni l’un ni l’autre ne tombe dans cette erreur ! » Avec les pressentimens de son garde-des-sceaux, Jacques eut à subir les railleries de son fou Archie, petit bossu spirituel qui, selon l’usage du temps, avait à sa cour la charge de l’amuser à tort et à travers. « Sire, dit un jour Archie au roi, il faut que je change de bonnet avec votre majesté. — Pourquoi? demanda Jacques. — Pourquoi? Qui donc a envoyé le prince en Espagne? — Et si le prince revient sain et sauf en Angleterre? — En ce cas, dit Archie, j’ôterai mon bonnet de ma tête, et je l’enverrai au roi d’Espagne. »

  1. Lord James Hay, vicomte de Duncaster et peu après comte de Carlisle.