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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/342

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tant d’efforts malheureux et de funestes épreuves, subissait une des crises les plus difficiles et les plus laborieuses qu’elle ait eues à traverser. La commission administrative siégeait à Nauplie, ses pouvoirs étaient réguliers, ils avaient l’approbation des ministres résidens; mais elle n’aurait pu les exercer ou plutôt en maintenir les humbles apparences sans la protection d’un détachement français. Par le fait, il lui eût été parfaitement impossible de gouverner la Grèce. Au nord du Péloponèse, le général Tzavellas tenait l’Achaïe avec un corps de troupes; il avait mis une forte garnison dans Patras, protesté contre la commission, et juré qu’il maintiendrait son commandement jusqu’à l’arrivée du roi; au centre, le vieux Colocotronis, un des plus braves et des plus habiles, mais assurément le plus avide et le plus rusé de tous les chefs pallikares, avait fondé en Messénie, de sa propre autorité et sous le nom modeste de système local, un gouvernement de son choix. Il avait attaché à sa fortune celle de son parent et ami, Nikitas le Turcophage[1] et tous deux appliquaient le système local en frappant sur les villages qu’ils étaient censés défendre contre la tyrannie des sept d’énormes contributions qu’ils encaissaient à leur profit. Une partie des Maïnotes était en armes, et Kitzaco Mavromichalis, sous prétexte de tenir en échec l’ambition de Colocotronis, faisait de temps à autre des excursions armées dans les riches plaines de l’Arcadie et de la Messénie pour maintenir en haleine la fidélité de ses partisans. Afin de se garantir également de la protection ruineuse de Colocotronis et des avides sympathies de Kitzaco, plusieurs grands villages de Messénie s’étaient entourés de fossés, avaient crénelé leurs murailles et formé une confédération qui s’administrait elle-même. Sur les hauteurs que domine Nauplie, un des plus chauds partisans du président Capo-d’Istria, le général Kalergis, s’était établi avec un corps de troupes; il suivait la fortune de Colocotronis, et, soutenu, dit-on, par les conseils de l’amiral Ricord[2], il protestait par son attitude armée contre la légitimité des pouvoirs de la commission. Grivas, ennemi personnel de l’auteur du système local, était le seul des chefs rouméliotes qui fût resté fidèle au gouvernement; mais la présence à Nauplie de ses bandes affamées était un perpétuel sujet d’alarmes pour-le pouvoir exécutif, qui se voyait contraint de les faire tenir en respect par la garnison française.

Cependant le cinquième congrès national venait de se réunir; il manifesta des dispositions sages et conciliantes envers tout le monde,

  1. Les exploits sanglans de Nikitas pendant la guerre de l’indépendant, dont il fut l’un des héros, lui avaient valu successivement les surnoms de « pourfendeur de Turcs (Turkalekas) » et de « Turcophage. »
  2. L’amiral Ricord commandait l’escadre russe.