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excepté envers les sénateurs. Accusé de connivence avec les bandes armées du Péloponèse et le parti de Capo-d’Istria, le sénat fut dissous par une loi et s’enfuit à Argos. Quelques jours après, la commission, jalouse de l’ascendant que le congrès commençait à prendre, faisait envahir la salle des délibérations par une compagnie d’irréguliers, mettait en fuite les députés et restait seule maîtresse du terrain. De son côté, le sénat déchu se réunissait à Spezzia, lançait une proclamation fulminante pour annuler tous les actes de la commission, et poussait la démence jusqu’à élire l’amiral Ricord président de la Grèce. On eût dit que tous ces vieux pallikares, habitués à une vie d’agitations et de périls, n’envisageaient pas sans effroi l’établissement d’un pouvoir régulier, et qu’ils conspiraient entre eux pour perpétuer l’anarchie. Il est un fait qu’il ne faut jamais perdre de vue quand on veut apprécier les circonstances qui ont amené un prince étranger sur le trône de Grèce et les mérites de son gouvernement, c’est que l’impuissance des Grecs à s’administrer eux-mêmes a été la cause déterminante de la fondation d’une monarchie hellénique.

Deux graves accusations ont été portées contre le comte Capo-d’Istria. On a dit que, par l’application de ses principes administratifs, il avait corrompu la nation, et qu’il aspirait secrètement à la royauté. La première de ces accusations nous a toujours trouvé parfaitement incrédule. Il est impossible de supposer qu’à l’issue des longues et pénibles luttes de l’indépendance, alors que la nécessité de défendre leur vie, leur bien, leur honneur, avait mis les armes aux mains de tous les Grecs, alors que les pratiques aventureuses de cette longue guerre de partisans leur avaient naturellement inspiré l’aversion des paisibles occupations de l’agriculture, l’ennui des habitudes régulières du foyer domestique, le goût du luxe audacieusement, mais facilement acquis; il est impossible, disons-nous, de supposer qu’au moment où, devenus impatiens de toute discipline et jaloux de toute supériorité, ils allaient laisser l’anarchie dégénérer en guerre civile, le président n’ait eu qu’à développer en eux, pour remplir sa tâche, le germe heureux des vertus civiles et politiques. Il ne s’agissait pas alors pour la Grèce d’améliorations et de perfectionnemens, il s’agissait presque d’une transformation sociale. Capo-d’Istria entreprit l’œuvre que lui confiait sa destinée avec un grand courage, et il la poursuivit avec une admirable persévérance. La Grèce était tout entière sous les armes, mais elle n’avait pas d’armée; elle était sans finances, sans administration, sans législation, sans agriculture, en un mot sans organisation d’aucune sorte. Tout y était intrigue, rivalité, confusion et misère. Capo-d’Istria procéda d’abord au rétablissement de l’ordre