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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/344

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avec une très intelligente fermeté. Il commença par donner des garanties sérieuses aux habitans des campagnes contre l’avidité des gens de guerre en instituant un corps complet de gendarmerie qui fut placé sous les ordres de l’autorité civile[1]. Les populations fugitives furent réunies et rappelées à leurs berceaux, on releva plusieurs villages de leurs ruines, et les libertés communales furent remises en vigueur[2]. Capo-d’Istria établit des primes pour l’agriculture et fonda une ferme-école à Tirynthe, sur le modèle de l’établissement français de Rouville. Il créa le trésor public et sut lui trouver immédiatement des ressources par la perception plus exacte de l’impôt foncier, par l’établissement d’un système complet de douanes et d’une banque nationale à laquelle il versa immédiatement une partie de sa fortune. Ses soins infatigables donnèrent successivement à la Grèce les bienfaits d’une administration réparatrice, d’une justice régulière, d’une législation empruntée en partie à nos codes français, et d’une instruction primaire organisée d’après les principes de l’enseignement mutuel. Il se croyait appelé à dompter la licence, et l’objet constant de ses préoccupations fut de donner aux besoins légitimes du peuple grec une suffisante satisfaction, tout en protégeant son œuvre naissante contre les dangers dont la menaçait l’ambition inassouvie des pallikares. Ce fut pour atteindre ce double but qu’il ajourna indéfiniment l’assemblée d’Argos après qu’elle lui eut conféré les pouvoirs nécessaires, et qu’il garda seulement près de lui un sénat dont les membres dévoués étaient en même temps son conseil et son appui. Les stériles tumultes d’une assemblée délibérante lui paraissaient aussi suspects que les écarts de la presse. Sa conviction était qu’il faut aux époques de transition un pouvoir prudent, mais concentré et fort. Il se peut que son ombrageuse sollicitude ait quelquefois manqué de mesure et d’habileté, et qu’il ait paru trop attentif à servir les intérêts du gouvernement russe, auquel il devait sa fortune. Toujours est-il qu’il s’était gagné les sympathies des populations agricoles, auxquelles appartient l’avenir de la régénération hellénique, et qu’il n’avait pas encore eu la main assez ferme, puisque l’acte de vengeance odieuse sous lequel il succomba avait été précédé des troubles du Magne, de l’insurrection d’Hydra et de l’héroïque folie de Miaoulis. Pour rester dans le vrai à l’égard du président Capo-d’Istria, il ne faut pas le

  1. Il fit plus tard de sérieuses tentatives d’organisation militaire en soumettant les troupes régulières de la Grèce à la législation qui régit l’armée française et en chargeant le général Gérard de discipliner les irréguliers.
  2. Sous la domination turque, les communes grecques jouissaient de franchises municipales assez étendues. Elles élisaient leur maire, qui répartissait lui-même l’impôt sous la surveillance du conseil de la province.