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rapport, aussi sévère que celui de M. Avé-Lallemant, était purement et simplement supprimé. Bientôt le sort des victimes fut oublié, et le sénat votait en faveur de la compagnie de Mucury un crédit de 3,120,000 fr. avec une garantie de 7 pour 100 d’intérêt. Ainsi la prospérité de la carnifirina du Mucury était déclarée d’intérêt national. Ajoutons, pour l’honneur du Brésil, qu’en prenant, peu de temps après, le portefeuille des finances, un Brésilien noblement soucieux des véritables intérêts de son pays, M. Silva Ferraz, fit supprimer ce crédit, si facilement voté. L’empereur dom Pedro rayait de son côté comme indigne le nom du directeur de la colonie du Mucury, que les électeurs de Minas-Geraës lui avaient par deux fois proposé en tête de la liste sénatoriale.

On pensera peut-être que les horreurs de la colonisation du Mucury appartiennent désormais à l’histoire du passé, et ne sauraient plus se reproduire; mais en un pays d’esclavage de pareils événemens sont dans la nature des choses, et l’on devrait s’étonner que des planteurs habitués à procéder arbitrairement à l’égard de leurs travailleurs noirs n’essayassent pas aussi les effets du despotisme sur leurs travailleurs blancs. Dans toutes les contrées du Brésil où le travail des champs était naguère réservé aux nègres esclaves, les colons d’Europe peuvent tous s’attendre à une servitude plus ou moins déguisée. En certains districts, si nous en croyons le rapport des savans embarqués sur la frégate autrichienne la Norarra, on aurait même poussé la logique du système jusqu’à faire le trafic des blancs, et l’on cite un Italien de Catumbez-Grande qui aurait longtemps servi de courtier pour cet abominable commerce, sans que jamais la police brésilienne ait pu le prendre sur le fait.

Il n’est pas besoin toutefois de signaler des barbaries exceptionnelles pour apitoyer l’Europe sur le sort des colons brésiliens. L’histoire de la colonisation, prise dans son ensemble, prouve que les émigrans d’Europe, soit allemands, soit portugais, employés à côté des nègres dans les provinces tropicales du Brésil, ne peuvent nourrir l’espoir d’être jamais traités en hommes libres, car la possession du sol, cette première garantie de la liberté, leur est pratiquement interdite. Peu de temps après la découverte du Brésil, le pays tout entier fut partagé d’abord entre neuf, puis entre dix-huit seigneurs. En 1754, ces capitaineries, dont chacune se développait sur une longueur de cinquante lieues de côtes, furent rachetées par le gouvernement; mais la constitution de la propriété ne fut modifiée qu’en apparence, et le sol n’en resta pas moins entre les mains de puissans propriétaires féodaux : maintenant encore une grande partie du sol du Brésil est distribuée en vastes domaines dont les limites, souvent indécises, sont marquées par des forêts, des fleuves ou des montagnes. En outre il existe un nombre considérable de sesmarias qui recou-