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vrent une superficie d’une demi-lieue, d’une lieue, même de trois et de cinq lieues, et qui, n’ayant jamais été mises en culture par leurs propriétaires, devraient faire retour au domaine public pour être cadastrées et mises en vente. Le gouvernement a souvent revendiqué ces sesmarias ; mais partout où les intérêts de la grande culture sont en jeu, les planteurs coalisés savent fort bien empêcher ce qui pourrait nuire à la constitution féodale de leur société. Tandis que la nation anglo-américaine, représentée par le gouvernement de Washington, est encore propriétaire des trois quarts de la superficie de la république, environ les quatre cinquièmes du sol de l’immense empire brésilien se trouvent déjà entre les mains des particuliers, et cinq ou six mille riches propriétaires d’esclaves ont à eux seuls accaparé la moitié du Brésil[1]. Le sol qui n’est pas encore approprié est trop infertile, trop insalubre ou trop mal situé pour qu’on veuille se donner la peine de l’acquérir. Ainsi la possession d’un domaine est interdite par la force même des choses, non-seulement aux émigrans d’Europe, mais encore à trois millions de Brésiliens libres : récemment on présentait à l’empereur dom Pedro un de ses sujets, le vieillard Francisco Thomas da Silva, dont la famille, composée de deux cent soixante-trois descendans de quatre générations successives, n’avait jamais possédé un mètre carré de terre. Ou comprend qu’une pareille organisation de la propriété rejette presque toujours le colon d’Europe dans une position subalterne, lors même qu’il réussit à se dégager des étreintes du planteur en remboursant toutes les avances faites pour sa traversée et son entretien. De guerre lasse, il est obligé d’abandonner le travail des champs et de se réfugier dans une grande ville où la loi le protège d’une manière plus efficace, où l’exercice d’un métier quelconque peut lui procurer une indépendance relative. D’ailleurs un climat meurtrier lui interdit la culture du sol dans les régions tropicales, et ce n’est pas impunément qu’il le brave. Les seules parties du Brésil où les colons de l’Europe occidentale puissent s’établir sans danger pour leur santé sont les plateaux qui s’étendent parallèlement à la mer, au sud de la zone tropicale.


IV.

C’est en effet dans les provinces méridionales de l’empire que se trouvent les colonies véritablement prospères; mais on aurait tort d’en attribuer le succès uniquement à la beauté du climat, car au sud, aussi bien qu’au nord de l’empire, les tentatives de colonisation faites d’après la méthode de la parceria ont abouti à la ruine la plus

  1. On évalue diversement leur nombre à 80,000, 100,000 ou 130,000.