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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/410

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complète. Ainsi des milliers de colons allemands amenés à grands frais sur les plateaux salubres de Saõ-Paulo n’ont pu trouver l’aisance qu’à la condition de briser leurs contrats tyranniques, et de s’enfuir des plantations où ils vivaient dans une espèce d’esclavage. Le travail libre a seul rendu prospères les colonies du Brésil méridional que l’on cite en exemple. Telle est la cause qui attire également vers les républiques voisines un nombre si considérable de Basques et d’Italiens; sûrs d’obtenir dès leur arrivée dans leur nouvelle patrie le titre de citoyens et les droits de travailleurs libres, ils émigrent par milliers dans les villes de l’estuaire de la Plata, et s’adonnent énergiquement à leur œuvre de colonisation sans s’effrayer des révolutions ni des pronunciamentos.

La province de Rio-Grande-do-Sul, où se trouvent les principales colonies allemandes, est enveloppée, au sud, à l’ouest et au nord-ouest, par des républiques où l’esclavage des noirs n’existe plus, et qui sont une terre d’asile pour les nègres asservis de l’empire brésilien. Voyant leurs plantations se dépeupler et ne pouvant d’ailleurs entrer en concurrence avec les travailleurs allemands, les propriétaires d’esclaves du Rio-Grande se décident à quitter le pays pour aller s’établir avec leur propriété vivante loin de ces terres espagnoles d’où souffle un vent de liberté. En même temps les souvenirs de la guerre civile, pendant laquelle les généraux du gouvernement et les officiers rebelles promettaient à l’envi l’affranchissement aux nègres de leurs ennemis, ont singulièrement affaibli l’institution servile. Tout ce que le travail forcé a perdu en importance, le travail libre l’a gagné en dignité et en valeur. Les habitans de la province, en partie délivrés du fléau de l’esclavage[1], ont appris à respecter ces colons allemands qui leur apportent tous les arts de la paix si nécessaires dans un pays libre : c’est ainsi qu’ont été jetés les fondemens d’une colonisation sérieuse qui pourra donner à cette partie du Brésil une influence capitale dans les destinées de l’empire.

Les premières colonies allemandes de la province de Rio-Grande-do-Sul ont été établies aux environs de Saõ-Leopoldo, au nord de la vaste lagune bourbeuse connue sous le nom de Lagoa-dos-Patos. Le territoire assigné aux colons est une région accidentée, mais fertile, qu’arrosent de nombreux cours d’eau, et où les campos alternent avec les bois. N’ayant pas à lutter contre une ligue de propriétaires, le gouvernement a pu faire mesurer les terras devolutas qui lui appartenaient et les mettre en vente à des prix raison-

  1. Pendant les doux années 1856 et 1857, la province de Rio-Grande-do-SuI a gagné par l’immigration 1,713 travailleurs libres, tandis que les planteurs emmenaient avec eux 748 esclaves. Presque toute la population asservie est réunie dans les parties basses de la province de Rio-Grande ; elle y forme encore le quart ou même le tiers des habitans. Dans les districts élevés, l’esclavage existe à peine.