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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/415

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jouissaient de la même prospérité que les agriculteurs, et déjà les meubles fabriqués à Donna-Francisca s’expédiaient en assez grand nombre à Rio-Janeiro. Etonnante au point de vue du progrès matériel, la colonie allemande de Donna-Francisca l’est encore bien plus par la société policée qui l’habite. D’après M. Avé-Lallemant, « il n’est peut-être pas d’endroit au monde qui possède, relativement à sa faible population, un aussi grand nombre d’hommes remarquables par leur intelligence et leur instruction. » Les vigoureux pionniers qui travaillent pendant le jour, la hache ou la charrue à la main, causent le soir sur divers sujets scientifiques, comme s’ils se trouvaient dans une ville d’université germanique, ou bien se récréent l’âme par la musique de Beethoven, de Mendelssohn, de Schubert. On devine l’influence civilisatrice qu’exercera la colonie de Donna-Francisca si bien située, si prospère, et peuplée d’hommes qui travaillent à leur développement intellectuel autant qu’à leur bien-être matériel. Quand on compare la société allemande des nouvelles colonies aux populations encore semi-barbares qui campent sur les plateaux de la province limitrophe de Paranà et croupissent dans la paresse la plus profonde, on ne saurait douter que Joinville ne devienne un jour le grand centre d’où le commerce et les progrès sociaux rayonneront au loin dans la direction du Paraguay[1]. L’excellente baie de San-Francisco qui sert de port à la colonie, et qu’on pourrait comparer au magnifique bassin de Rio-Janeiro, contribuera certainement pour une forte part à la prospérité future de Donna-Francisca. Déjà ce port, naguère complètement négligé par les Brésiliens, commence à se peupler de navires.

En étudiant les résultats obtenus au Brésil par la colonisation, il est impossible de ne pas être frappé du rôle prépondérant que jouent dans cette œuvre les émigrans de race allemande. Ils sont peu nombreux, il est vrai, et l’on évalue à 50,000 à peine ceux que contient l’empire; chaque année, ils ne forment qu’une fraction minime des étrangers qui débarquent au Brésil[2], et ceux d’entre eux qui sont transportés dans les provinces de la zone torride succombent rapidement à la peine; mais ceux qui restent font plus que tous les autres émigrans pour la transformation du pays, car, plus que tous les autres, ils représentent la liberté. Les Portugais, qui viennent en foule dans les grandes villes du littoral et dans les plantations du nord, n’ont d’autre intention que de faire promptement fortune sur cette terre où leurs ancêtres s’étaient enrichis avant

  1. Le quart des Allemands débarqués dans la colonie de Donna-Francisca sont allés s’établir sur le plateau voisin.
  2. En 1858, sur 19,000 émigrans, 9,320 étaient Portugais, et 2,300 seulement étaient d’origine allemande.