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ront sur les abîmes de l’Océan un certain nombre d’hommes entraînés comme par un vertige, mais toujours aussi ce nombre restera faible. En thèse générale, le Français qui pourra le faire ne manquera pas à se dérober à ce servage, comme on a encore appelé, et malheureusement avec trop de raison, notre régime de l’inscription maritime. Loin de la nier, nous constatons avec une véritable reconnaissance la sincérité des efforts que l’administration a faits dans ces derniers temps pour améliorer la condition des gens de mer; mais, nous le croyons aussi, tous ces efforts n’agiront que comme des palliatifs presque impuissans. Ils soulageront des souffrances individuelles, ils n’auront pas, du moins nous le craignons, la vertu de faire entrer un plus grand nombre d’hommes dans les cadres de l’inscription. C’est la base fondamentale du système lui-même qui a besoin d’être réformée et mise en harmonie avec ces principes de 89 qui, appliqués à toutes les autres classes de la population, à toutes les autres branches de l’activité humaine, ont produit de si admirables résultats pour tout le monde, pour les individus et pour l’état. Pourquoi ne pas renoncer à cette dure exception?

L’état en effet ne saurait rien gagner à maintenir le servage des gens de mer. On lui dit le contraire, et c’est au nom de son intérêt qu’on lui conseille de ne pas se dessaisir de son pouvoir. Les fruits si chétifs qu’a produits cette institution après deux siècles d’existence devraient cependant le convaincre, et ne plus lui permettre de douter que le plus souvent le pouvoir qu’il possède sur la liberté et sur les intérêts des individus, il ne le conserve qu’au détriment de sa grandeur, de sa richesse et de sa véritable puissance. Cela n’est pas moins vrai dans l’ordre des choses maritimes que dans tout autre, et j’en puis citer un exemple qui me paraît concluant. Je veux parler de la mesure qui fit passer en 1851, des mains de l’état dans celles de la compagnie des Messageries impériales, le service des paquebots de la Méditerranée, que l’administration des postes dirigeait depuis 1838. Il nous en coûta (j’étais de ceux qui poussaient à la roue), il nous en coûta presque trois années d’efforts pour atteindre le but que nous poursuivions; c’est dire que la discussion fut longue. Et quel était l’argument qui nous était toujours opposé dans toutes les commissions parlementaires ou administratives devant lesquelles nous eûmes à comparaître"? C’était l’intérêt de l’état que l’on invoquait et celui de sa marine, déjà si pauvre, disait-on, et qu’il ne fallait pas appauvrir encore. La chose s’est faite cependant, et qu’est-il arrivé ? Au lieu des quatorze paquebots qui naviguaient sous le pavillon de la poste et qui faisaient quatre-vingt-dix mille lieues par an, la compagnie des Messageries impériales en emploie aujourd’hui cinquante-huit, qui fournissent un parcours annuel de quatre