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cent trente-quatre mille quatre cent soixante-deux lieues; au lieu de 2,700 chevaux de vapeur, il s’en emploie maintenant 16,240; au lieu d’être réduit à un rôle subalterne dans la Méditerranée, le pavillon de notre marine à vapeur a pris dans cette mer une prépondérance réelle, il s’est élancé à travers l’Océan jusqu’au Brésil, où il soutient avec un avantage manifeste la concurrence contre le pavillon anglais, et au moment même où nous parlons, il va se montrer à côté de nos rivaux dans les mers de l’Inde et de la Chine. Au lieu de 8 ou de 900 hommes qui étaient occupés sur les navires de la poste, il y en a presque 4,000 sur les paquebots de la compagnie. Au lieu d’un trafic presque nul, 32,000 voyageurs et 10,700 tonnes de marchandises en 1851-52, il se fait un trafic très considérable et qui rapporte des millions au trésor, 120,676 voyageurs et 120,000 tonnes de marchandises en 1861. Sous quel rapport l’état a-t-il donc perdu, ou, pour mieux dire, n’a-t-il pas gagné à ce changement? Sa puissance militaire même en a ressenti les plus heureux effets, lorsqu’en 1854, 1855, 1856, les paquebots de la compagnie transportaient 292,941 passagers militaires et 37,065 tonnes de matériel de guerre entre l’Algérie, la France et la Crimée, lorsqu’en 1859, pour la courte campagne d’Italie, ils transportaient encore 125,939 passagers militaires et 13,446 tonnes de matériel de guerre. Pour être ce qu’elle pourrait et ce qu’elle devrait être, la marine de la France a, elle aussi, besoin d’air et de liberté.

C’est peut-être l’enseignement le plus solide qui devra ressortir de cette étude, car elle a suffisamment prouvé, je pense, que sous tous les autres rapports : talent, courage, activité, dévouement, il n’est rien que nous ne puissions attendre de nos marins. Ayant vécu au milieu d’eux, ayant passé à bord de leurs navires et sous leur pavillon bien-aimé des années dont le souvenir me restera toujours cher, je me tiendrais pour heureux si, après avoir exposé les titres que possède à la reconnaissance nationale cette race si vaillante, si généreuse et si éprouvée, je réussissais à faire croire à d’autres, comme je le crois moi-même, que si la puissance maritime de la France n’est pas aussi grande encore que nous le désirons, ce n’est pas à nos marins qu’il serait juste de nous en prendre.


XAVIER RAYMOND.