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croire à un certain idéal champêtre, y ajoute des élémens étrangers. Aux molles langueurs du génie italien importées sur le sol natal, il mêle l’esprit français, subtil et galant, non essentiellement platonique. Des personnages réels sous des déguisemens de bergers et de chevaliers, de bergères et de châtelaines, transportent sur les bords du « doux coulant Lignon » leurs aventures véritables, et sous ces masques transparens les contemporains reconnaissent les physionomies des seigneurs de la cour de Henri IV. Cette ingénieuse fiction, la scolastique amoureuse de ces bergers qui discourent dans un langage recherché, un certain talent descriptif, toutes ces nouveautés succédant sans transition aux grossiers romans de chevalerie, dont on commençait à se lasser, parurent si admirables aux lecteurs de l’Astrée qu’ils n’attendirent rien de plus parfait du genre romanesque et s’arrêtèrent à cette forme sentimentale, certains qu’elle ne pouvait être dépassée. Ce culte littéraire eut ses détracteurs aussi bien que ses défenseurs, mais son influence n’en fut pas moins constante sur les meilleurs esprits. Tout le XVIIe siècle garda la même admiration pour ce roman précurseur de la littérature noble et polie, et c’est déjà bien loin du moment de son apparition que Mme de La Fayette fait encore chaque après-midi une lecture de l’Astrée, dont ses aimables ouvrages conservent pour ainsi dire le reflet dans ce ton de galanterie exquise et délicate que d’Urfé a mise à la mode sous le nom d’honneste amitié.

Inspirée, nous dit l’auteur, par « le riant souvenir des belles années de jeunesse, » l’Astrée semble avoir le tour d’imagination romanesque plutôt que l’émotion naïve de la jeunesse. Il y a bien chez d’Urfé un souvenir, mais transformé dans l’esprit du courtisan, et cependant cette impression, quoique presque entièrement effacée, a encore quelque charme. Sans prendre le même plaisir que les contemporains aux soupirs de Céladon ou aux sages discours du druide Adamas, nous aimons cette teinte douteuse de poésie et d’abstraction ; nous trouvons une certaine grâce dans cette langue qui s’essaie avant d’être la belle langue du xviie siècle, et n’a plus la verdeur un peu âpre du vieux français. C’est comme une clarté d’aube blanchissante qui nous fait penser à ce vers de La Fontaine :

Et que, n’étant plus nuit, il n’est pas encor jour.


Le judicieux Patru, qui a recherché avec ardeur la clé des noms et des aventures de l’Astrée, nous dit que, dans cet ouvrage exquis, l’auteur a romancé des histoires véritables. Les écrivains médiocres, imitateurs de d’Urfé, usent fréquemment de ce procédé, par lequel ils savent exciter un intérêt de curiosité. On voit dans le Romant