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tant le terrain aux nouveau-venus. Tantôt le sénat réclamait contre l’avilissement prétendu des dignités romaines; tantôt la jalousie gagnait les légions, qui voyaient de mauvais œil les récompenses accordées à leurs camarades auxiliaires; alors les camps se soulevaient aux cris de mort aux Barbares! et une soldatesque égarée massacrait ses généraux ou son empereur. Ainsi tout récemment avait péri Gratien. Ces préjugés irritables, on les excita contre Stilicon ; on prétendit que l’ami de Théodose ne se fiait qu’aux auxiliaires, n’avait de faveurs que pour eux, et ménageait jusqu’aux barbares ennemis de Rome, témoin Alaric, qu’il avait laissé échapper quand il pouvait le détruire. Cette qualification injurieuse de demi-barbare, que ses ennemis employaient contre lui, circula comme un mot d’ordre parmi les légions, et le soldat romain, travaillé en tous sens, se détacha peu-à peu du chef qui avait longtemps fait son orgueil. Par un retour naturel des choses, le soldat barbare s’attacha à Stilicon, et les ennemis de ce grand homme firent précisément pour lui ce qu’ils l’accusaient d’avoir fait. Il se forma un parti qui soutint l’égalité des Barbares contre les exclusions du parti national.

Ce parti de l’égalité des Barbares fédérés vis-à-vis des Romains, du moins quant aux dignités de l’état, se liait plus qu’on ne le supposerait au premier coup d’œil aux partis religieux. Les Goths, devenus les plus importans de tous les Barbares au service de l’empire, étaient chrétiens, mais chrétiens ariens, en vertu des conditions mêmes de leur admission en Mésie. Les autres appartenaient aux croyances païennes : aucun n’était catholique. Ils se trouvaient donc frappés par les lois religieuses de Théodose, mais ils avaient gagné assez de puissance et de fierté depuis trente ans pour ne plus changer de religion au gré d’un empereur romain. Les lois de Théodose contre les païens et les hérétiques ne leur avaient jamais été appliquées, contre le vœu du parti national, qui demandait à grands cris qu’on les y soumît. On voit comment purent se rencontrer par la communauté du but le parti national et le parti de l’unité catholique; comment, d’autre part, les religions dissidentes furent amenées à s’entendre avec les Barbares; et l’on comprendra que Stilicon, lorsque les passions qui couvaient secrètement éclatèrent au jour, se trouvât le chef naturel des deux partis, de l’égalité des Barbares et de l’égalité des religions, tandis que les deux autres se rapprochaient et se confondaient dans la même ligue. Son plus dangereux antagoniste et l’infatigable agent de la propagande militaire dirigée contre lui était un certain Olympius, officier supérieur dans la milice palatine, hypocrite ambitieux dont Stilicon avait fait la fortune, et qui déguisait, sous les dehors d’une extrême simplicité et d’un complet détachement du monde, une soif inextinguible de pouvoir. Une de ses pratiques habituelles, pour se glisser dans la confiance