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extérieur, si intimement lié au monde moral. La vérité et la passion, ces deux élémens sans lesquels il n’est pas de bon roman, rentrent insensiblement dans la littérature romanesque quand elle ne se met plus au service de l’esprit de secte ou des pures abstractions.

Cette puissance que le roman doit à la variété de tous les élémens qui peuvent entrer dans sa composition, chaque jour encore il l’étend et l’accroît. Notre siècle, malgré l’indifférence qu’il affecte, est sensible à la vérité, épris de la beauté, spiritualiste et sensualiste tout à la fois ; il aime dans cette double acception tout ce qui l’affecte par la sensation comme tout ce qui l’élève par l’intelligence et le sentiment. Le romancier qui comprend sa mission, tout en acceptant les lois immortelles de l’art, les règles pures et discrètes du goût, a tout pouvoir pour exprimer les passions tendres ou exaltées, les découvertes inépuisables de l’observation, les brillans mirages de la fantaisie, les beautés splendides ou mystérieuses du monde créé, et jusqu’à ces idées confuses et flottantes auxquelles il donne une interprétation ; mais il doit apporter dans cette expression le sentiment du vrai, c’est-à-dire le double caractère de toutes les choses humaines, l’idéal et la réalité, car la beauté morale et élevée, pure et abstraite, l’idéal enfin n’est pas au-dessus de la nature. Il s’unit avec elle dans des proportions comprises des grands artistes et des grands écrivains, et senties par tous les hommes qui aiment la vérité instinctivement. Aucune forme littéraire ne réclame plus impérieusement cette vérité toujours aimable que celle du roman, qui représente la vie dans toutes ses conditions, soit intimes, soit extérieures, se fait l’interprète des mouvemens de l’âme aussi bien que l’historien fidèle de la société, et, dans cette expression si étendue, élevée, morale et passionnée, est sous certains rapports, comme l’a dit un éloquent écrivain, le poème épique des nations modernes.


E. Du Parquet.