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L’asile où pour nous le destin
A noué ce fil qui s’allonge.

Bientôt de ce foyer discret
D’autres vont profaner le charme.
Et nous partons ! et nul regret
N’attendrit nos regards sans larme !

C’est qu’au logis décoloré
Il a manqué le bien suprême :
C’est que l’enfant n’a pas pleuré,
C’est qu’il manque un chant au poème !

Ô la plus étrange des lois !
Est-on seul, à deux l’on veut être ;
Est-on deux, l’on veut être trois :
L’amour est né, l’enfant veut naître !

Adieu, petit coin bien aimé,
Où fut le lit, où fut la table ;
Où maint flambeau s’est consumé
Dans mainte veille interminable !

Adieu, petit foyer sans bruit,
Bosquet muet et sans ramage,
Grenier sans blé, jardin sans fruit,
Printemps sans fleur et sans feuillage !

Adieu ! le ciel qui nous bénit
Peut-être sourit à l’échange,
Cage qui n’as pas eu de nid,
Vigne qui n’as pas fait vendange !

II. — LA MORTE VIVANTE.
À D. L. GILBERT.

Lentement elle est morte, et nous l’avons tous vue,
La belle et sainte femme au sourire glacé.
Errer dans ses salons ainsi qu’une statue,
Forme déjà pareille aux ombres du passé !

Que ses traits étaient purs ! Sa chevelure noire
En deux bandeaux épais pressait son front charmant ;
Moins pâle était la cire et moins ferme l’ivoire ;
Nul pli n’y trahissait son intime tourment.

Elle avait à la mort fait le grand sacrifice,
La priant seulement de venir pas à pas.