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sur le christianisme, que l’interprétation de sa pensée devient aussi importante en maintes occasions que l’interprétation même de l’Évangile. Le moyen âge commente ses paroles, la réforme s’inspire de ses doctrines sur la grâce, le XVIIe siècle devient le plus glorieux de ses disciples, la publication définitive de ses œuvres par les bénédictins (1689-1699) est tout un événement, un événement qui a préoccupé les hommes d’état et qui a mérité d’avoir ses historiens. En un mot, la pensée de saint Augustin, pendant une période de plus de mille années, est comme la substance de la littérature chrétienne, et dans les camps les plus divers, dans les églises rivales, dans les rangs mêmes de la philosophie et des lettres, elle peut compter avec orgueil toute une lignée d’esprits sublimes dont elle a soutenu l’essor vers les hauteurs,

Centum complexa nepotes,
Omnes cœlicolas, omnes supera alta tenentes.

Parmi tant de travaux consacrés aux œuvres de ce grand homme, il en est un qui manquait jusqu’ici à la littérature : c’est l’exposé complet de sa philosophie. La philosophie de saint Augustin est dans tous ses ouvrages; on en trouve des fragmens dans ses sermons, dans ses traités de théologie, dans ses lettres, dans ses dialogues, dans ses commentaires de l’évangile de saint Jean, et surtout dans les pages enthousiastes de la Cité de Dieu; mais où est l’ensemble? où chercher le monument? Génie plus ardent que méthodique, Augustin semait les trésors de sa pensée avec une prodigalité vraiment éblouissante, sans songer à en construire un édifice. Cet édifice, qui n’existait que dans l’esprit de l’auteur, et dont il n’avait pas exécuté le plan sublime, personne, avant les penseurs de nos jours, n’avait essayé de le restituer depuis la base jusqu’au faîte. Il y a sans doute, et en grand nombre, d’excellentes études sur saint Augustin, soit qu’on ait interrogé sa vie, sa conversion, son divin enthousiasme, son rôle politique et religieux, soit qu’on ait caractérisé à larges traits l’inspiration générale de ses écrits. Sans remonter jusqu’au XVIIe siècle, où Bossuet, nourri de la moelle de sa pensée, l’assimile à la sienne par la puissance d’un génie original et va prendre sa place à côté de l’aigle des docteurs sans parler des mémoires de Tillemont, de l’édition des bénédictins et de l’analyse si complète qu’en a donnée Rémy Ceillier, sans parler même des jugemens si libres qu’Ellies Du Pin et Richard Simon, au grand scandale de l’évêque de Meaux, ont portés sur la théologie de l’évêque d’Hippone, on peut affirmer que la physionomie de saint Augustin a été admirablement comprise et reproduite par la haute littérature du XIXe siècle. En des pages où la sagacité de la critique est unie à la perfection de l’art, quelques-uns de nos maîtres ont renouvelé hardiment ce grand sujet d’études. Le point de vue change en effet à mesure que les générations se succèdent; instruits par les révolutions modernes, nous avons des choses toutes nouvelles à dire, même après les Bossuet et les Fénelon. Au sortir du XVIIIe siècle, ne devions-nous pas trem-