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per avec bonheur nos lèvres altérées aux sources vives d’Hippone et de Cassisiacum? Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau ne devaient-elles pas nous faire mieux apprécier les Confessions du fils de Monique? Il n’est pas nécessaire, je pense, de rappeler ici les éloquens tableaux de M. Villemain, ni les pages exquises où M. Saint-Marc Girardin nous a montré l’ardent catéchumène élevant avec tant de scrupules et de tendresse le fils de son péché, ce brillant Adéodat, si beau, si pur, si noblement doué, d’une intelligence si précoce et si haute, et que Dieu rappelle à lui à peine âgé de seize ans, au lendemain de son baptême[1]. Ajoutez à ces peintures excellentes quelques aperçus intéressans de M, Edmond de Pressensé dans la Revue chrétienne, quelques belles pages de M. de Montalembert dans ses Moines d’Occident. J’ose croire, en présence de pareils témoignages, que la figure de l’évêque d’Hippone, cette figure si sublime et si tendre, si sainte et si humaine, nous est presque aussi bien connue aujourd’hui qu’à Possidius lui-même, l’un de ses chers disciples et le premier de ses biographes. Grâce à l’art intime et pénétrant de l’école historique renouvelée, nous l’apercevons assis auprès de sa mère, ravi par la contemplation, absorbé dans les extases de l’amour, comme le montre à nos yeux le poétique tableau d’Ary Scheffer. Voilà certes une belle conquête sur le passé; avouons cependant qu’il manque toujours quelque chose d’essentiel à cette résurrection morale du grand docteur, tant que nous n’avons pas recomposé son monument philosophique.

La tâche est délicate, je le sais, et de nature à effrayer les plus hardis. Lire avec une attention religieuse un si grand nombre d’écrits[2], tant d’œuvres, tant de controverses, où les plus subtils problèmes de la métaphysique sont mêlés aux questions les plus ardues de la théologie chrétienne, pénétrer le sens de chaque pensée, peser la valeur de chaque mot, c’est à peine la moitié du travail; le grand point ici, c’est le choix et l’art, le choix intelligent et l’art industrieux, car il faut extraire à propos tel fragment, tel passage, le détacher de ce qui l’entoure sans en altérer l’importance, lui assigner une place nouvelle sans lui faire dire plus ou moins que l’auteur n’a voulu. Voilà bien des écueils, et qui reparaissent à chaque pas; celui-là seul pourra les éviter qui se sera initié de longue date à toutes les idées philosophiques de saint Augustin. Si vous n’avez pas conversé intimement avec le maître et discuté avec ses commentateurs, à combien de méprises n’êtes-vous pas exposés! En présence de telles difficultés, le découragement ne serait que trop excusable, si une merveilleuse récompense n’était promise au vainqueur. Un des grands écrivains du XVIIe siècle, un de ceux qui ont jugé le plus librement les pères, ne craint pas d’affirmer qu’en

  1. Voyez dans la Revue du 15 août 1840 l’étude intitulée les Confessions de saint Augustin.
  2. Il y en a mille et trente au dire de Possidius, et si Augustin ne compte lui-même que quatre-vingt-treize ouvrages distribués en deux cent trente-deux livres, c’est qu’il ne parle ni de ses sermons ni de ses lettres, où la philosophie peut cependant réclamer bien des pages.