entre Wapping et White-Chapel, il existe aussi toute une colonie d’ouvriers allemands qui ont plus ou moins conservé leurs usages, tout en les pliant et les accommodant aux mœurs britanniques. Les Italiens, en assez grand nombre, sont venus s’acclimater sous le pâle soleil de la Tamise, et ils ont à Londres le monopole de quelques menues industries. Les Polonais, les Hongrois, les Grecs, bien d’autres encore forment de même une sorte d’immigration permanente qui se perd du reste dans le mouvement bien anglais de cette cité européenne.
Ce n’est pas seulement l’Europe qui se trouve représentée à Londres par des quartiers et des industries distinctes ; on y rencontre des hommes de toutes les couleurs, des Asiatiques, des Africains, des Indiens de l’Océanie. On évalue à cinq ou six mille la population plus ou moins flottante des nègres et des Malais qui visitent annuellement les docks de la métropole anglaise. Beaucoup de ceux qui viennent ne s’en retournent plus dans leur pays : quelques-uns d’entre eux ont été attirés par des aventures qui pourraient fournir carrière à l’imagination d’un romancier ; mais la plupart ont été amenés à Londres en vertu d’un arrangement tout commercial. Beaucoup de vaisseaux au service de la marine marchande perdent de leurs hommes sur les côtes les plus éloignées ; ils engagent alors des lascars (marins de l’Asie), même des naturels de toutes les parties du monde, pour remplir les vides laissés dans l’équipage par la mort, la maladie ou la désertion. Une fois ces mêmes navires ramenés en Angleterre, plusieurs des lascars ne trouvent plus l’occasion de retourner chez eux ; d’autres se laissent séduire par les pompes extérieures et les vices de la civilisation, ou bien encore ils restent enchaînés par cet esprit d’indolence et de fatalisme qui est le caractère des races barbares. Cette population excentrique a paru assez nombreuse et assez intéressante à un Anglais, le lieutenant-colonel Hughes, pour qu’il ait eu l’idée de fonder, vers 1855, en faveur de ces étrangers, une société de secours à laquelle il donna le nom de Stranger’s home (asile pour les étrangers.)
On pourrait étudier toutes les races humaines sans sortir de Londres, et c’est un plaisir que je me suis donné plusieurs fois quand je vivais dans le voisinage des docks. La plus belle statue de marbre noir que j’aie vue de ma vie était un jeune Éthiopien aux formes athlétiques, qui, demi-nu, était occupé à laver des voiles et des cordages à bord d’un vaisseau chargé de bois de senteur. Une autre fois j’entendis vers neuf heures du soir, dans une ruelle étroite et obscure de Ratcliffe-Highway, une étrange musique sortant d’une pauvre maison, et produite par un instrument qui n’avait guère plus de trois ou quatre notes. Il y avait dans la rue, devant la porte