incapable, l’autre indécis et pusillanime, essayant, non-seulement de faire vivre en paix, mais de marier, dans la personne de leurs enfans, deux politiques contraires ; deux favoris, l’un arrogant, l’autre fourbe, tous deux vaniteux, chargés, l’un de poursuivre effectivement ce mariage, l’autre de l’éluder en ayant l’air de le désirer : d’un côté une réserve solennelle, de l’autre une hardiesse présomptueuse. À coup sûr il y avait là de quoi susciter et alimenter, dans une telle négociation, des complications, des obscurités, des alternatives et des lenteurs infinies. Ce fut en effet le spectacle qu’offrit la cour de Madrid tant que Charles et Buckingham y prolongèrent leur aventureux séjour.
Au début, le contraste ne parut guère, et ce ne fut d’abord à Madrid que joie et fêtes ; cette résolution inattendue du prince anglais, ce voyage secret et rapide à travers la France, la figure et les manières élégantes et dignes de Charles, la personne et l’aventure également chevaleresques, avaient saisi et charmé l’imagination des Espagnols : « Je n’ai jamais vu la gravité espagnole plus complètement mise de côté, écrivit lord Bristol, ni aucun homme plus ravi que ne fut le roi quand il apprit que le prince était là… Le comte d’Olivarez tomba à genoux, s’écriant : — Nous n’avons plus qu’à jeter l’infante dans ses bras, — et se tournant vers Buckingham : — Maintenant nos maîtres peuvent se partager le monde. » L’émotion publique répondait à la satisfaction royale, et des circonstances fortuites vinrent encore la rendre plus générale et plus vive : depuis sept mois avant l’arrivée de Charles, l’Espagne souffrait de la sécheresse ; une pluie abondante arriva en même temps que lui, et donna à la nature le plus fécond aspect et aux hommes les plus belles espérances. Jusque dans les rues de Madrid, la superstition populaire vit des augures favorables ; quand Charles fut logé au palais du roi, un pigeon vint se percher habituellement auprès des fenêtres de son appartement sans qu’on sût ce qui l’y attirait. Aussi quand, le 27 mars, Charles traversa solennellement la ville pour aller prendre auprès du roi sa demeure, toutes les classes de la population l’accueillirent avec la même faveur ; les plus riches tentures, les plus beaux tableaux ornaient la façade des maisons ; des gradins partout dressés étaient couverts de spectateurs ; on récitait sur le passage du cortège des discours et des vers à l’honneur du prince ; Lope de Véga le célébra dans une chanson dont le refrain retentissait partout :
- Carlos Estuardo soy,
- Que, siendo amor mi guia,
- Al cielo d’España voy
- Por ver my estrella Maria.
« Je suis Charles Stuart qui, prenant l’amour pour guide, viens sous le ciel d’Espagne pour voir Marie, mon astre. »