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la famille slave, a suscité l’entreprise de Luther. Ces deux esprits, à leur point de départ, étaient aussi violemment opposés qu’ils ont pu le devenir jamais par la suite. Ajoutez à des instincts si contraires les souvenirs d’une lutte sauvage, ajoutez-y surtout les effets de la réaction, le grand art de la politique romaine, la persévérance du génie italien à ressaisir le gouvernement absolu de l’église, et vous ne serez pas surpris que cette fête d’Iglau, avec ses chants, ses larmes de joie, ses merveilleuses espérances, n’ait été qu’une illusion d’un jour.

Dès le lendemain, la défiance s’éveille. Un prêtre hussite a donné la communion sous les deux espèces dans la même église où officie un prêtre catholique. Est-ce son droit ? Voilà un débat qui s’engage et toutes les passions qui se rallument. Le parti des hussites avait désarmé trop tôt ; la réaction, d’abord circonspecte et doucereuse, s’étend, se développe, affermit ses positions, et finit par tout envahir ; l’empereur Sigismond n’était que trop disposé à seconder ses intrigues, malgré la solennité qu’il venait de donner à la proclamation des compactats. L’homme qui, vingt et un ans plus tôt, avait appelé Jean Huss à Constance, et qui, malgré les engagemens scellés de son sceau impérial, l’avait laissé monter sur le bûcher, devait-il respecter les promesses du concile ? Qu’était d’ailleurs le concile lui-même ? Effrayé des réformes hardies qui venaient d’être votées par cette espèce d’assemblée constituante, le saint-siège épiait le moment de la dissoudre. Vainement quelques-uns des légats redoublaient de zèle dans les affaires de Bohême ; vainement un prélat français (remercions M. Palacky de nous avoir révélé cette généreuse figure), vainement, dis-je, l’évêque de Coutances, Philibert, un digne émule des Pierre d’Ailly, des Clémengis, des Gerson, montrait libéralement le cœur d’un apôtre à ses frères de Bohême, donnait au parti catholique l’exemple de la charité, distribuait lui-même la double communion aux hussites, ordonnait leurs prêtres, consacrait leurs églises, s’efforçait enfin d’effacer tous les mauvais souvenirs, de mettre fin à toutes les divisions, et devenait, selon le vœu du concile, la vivante image de l’unité chrétienne. À quoi servait tant de vertu au moment où le concile, désorganisé déjà par les intrigues de Rome, était dépouillé violemment de ses droits et réduit à d’impuissantes protestations ? Qu’on se rappelle les scènes scandaleuses du concile en 1437 : les luttes qui faillirent ensanglanter la cathédrale, la minorité romaine s’emparant du sceau du concile pour donner force de loi à ses décisions illégales ; le concile transféré sur la terre italienne, c’est-à-dire sous la main du pouvoir qu’il s’agissait de réformer, à Ferrare d’abord, puis à Florence, puis enfin à Latran ; la partie romaine de l’assemblée obéissant à l’injonction du saint-siège ; les vrais pères du concile, les représentans